5ème façade : la ville heureuse de demain ?

 

 

Avec plus de la moitié de la population mondiale vivant en ville et l’urbanisation croissante qui lui associée, les espaces constructibles et ceux partagés se posent comme des enjeux de notre société des points de vues urbains, énergétiques et sociaux. De fait, les toits de nos villes « offrant tout ce qui manque aux citadins – du calme, de l’air, de l’espace, un horizon, des vues, constituent aujourd’hui le nouvel Eldorado1 » pour l’ensemble des acteurs de la ville.

 

3 BOX, Stéphane Malka (architecte)

 

Engagée dès les années 1920, mais à l’époque marginale, la conquête des surfaces perchées, connaît actuellement un développement exponentiel.  Ce mouvement mondial concerne tant les maisons individuelles que les équipements publics, constituant un nouveau paysage architectural des hauteurs. Les monuments ne sont pas exclus de la tendance : Répondant au souhait émis par le Premier Ministre Edouard Philippe pour la reconstruction de Notre-Dame de Paris, pour qui le futur projet devra être « adapté aux enjeux de notre époque », l’architecte Nicolas Abdelkader du studio NAB proposait d’installer pour nouvelle toiture une  serre éducative et des ruches destinés à la formation d’apiculteurs : « le travail de la terre comme élément fédérateur du sacré et du vivant » tel était titré le projet … et ce dernier se fera dans les airs.

Corroborant l’idée de faire de la reconstruction de la cathédrale un symbole de la transition écologique, le créateur Marc Carbonare expliquait vouloir replanter ‘‘la forêt’’- soit la charpente du XIIIe siècle en chêne – sur le toit, tandis que les dijonnais du cabinet Godart et Roussel dessinaient une promenade sur les toits, avec vue sur l’ensemble de la capitale.

Si cette actualité représentait une opportunité pour ces agences inconnues d’être présentes sur la scène médiatique internationale, les projets n’en restent pas moins un exemple probant que la notion de surface disponible en hauteur, la bien nommée 5e façade, s’affirme comme l’objet d’intérêts nouveaux.

 

De la notion d’abri à celle d’espace actif 

Si le toit terrasse reprend du service dans l’architecture contemporaine sous le concept de 5ème façade, pour autant, cette colonisation en hauteur ne date pas d’hier ni des premiers bobos venus y cultiver des tomates. En effet, dès 1224 apparaît pour la première fois le terme altana qui désigne les petites terrasses en toiture qu’affectionnent les vénitiens. Officiellement autorisées à partir du XIVe siècle, ces constructions légères, à l’occasion surmontées d’une pergola prennent appui sur des piles et s’intègrent parfaitement à la silhouette de la sérénissime. Lieux de sociabilité et d’isolement, jardins de toiture ou pièce à ciel ouvert nichés dans le paysage des toits, les altana permettent de compenser la ville dense et minérale.

Dans le même objectif de bien être mais transposé dans une culture pré métropolitaine, à la fin du XIXe siècle, de l’autre côté de l’Atlantique, de richissimes propriétaires profitent des toitures plates de Manhattan à New York pour édifier de superbes toits-jardins. Par la suite y seront aménagés de confortables habitations en penthouses répandues aujourd’hui jusque sous nos latitudes. Dès lors, les normes sociales se trouvent inversées. Auparavant, les espaces nobles se situaient aux paliers inférieurs tandis que buanderies et chambres de bonnes étaient dans les étages élevés. Depuis les hauteurs s’imposent comme le nec plus ultra de l’immobilier, y compris dans le domaine du logement social : ainsi des pavillons en toiture des logements sociaux à Champigny-sur-Marne (94) dessinés par Edouard François en 2012. Visionnaire, l’architecte proposait tout récemment à Lyon, une tour d’habitation surmontée d’un empilement de pièces extérieures d’une superficie de 35 m2. Désolidarisées des logements placés en hauteur, ces terrasses permettent d’éviter les ruptures de ponts thermiques tout en apportant des qualités en terme de surface, de vues et de climat.

 

Potager sur les toits d’Ivry

 

En Europe et dans un esprit de diffusion internationale, lorsque Le Corbusier énonçait en 1927 les cinq points de l’architecture moderne, il signait la fin du toit en pente en lui assignant de nouvelles fonctions. Les usages étaient repensés par sa conception à l’horizontale. Dès lors le toit n’est plus qu’une seule protection inaccessible, il est à même d’accueillir des écoles, des terrains de sport, des restaurants. Tirant parti du progrès et des possibilités du béton, la toiture s’émancipe et se transforme en lieu d’évasion et de sociabilité. Cette idée s’était parfaitement réifiée à travers la Cité Radieuse qu’il réalisait à Marseille entre 1947 et 1952. « Programme le plus complet jamais réalisé sur un toit », elle comprenait une crèche, une pataugeoire, une surface de jeux, un gymnase, un solarium, un podium faisant office de théâtre et une piste de course à pied. Si cette utopie sociale ne fut qu’éphémère, « la maison du fada » est aujourd’hui un immeuble très prisé de la Cité Phocéenne. Elle est notamment célèbre pour accueillir sur son toit un centre de création d’art en plein ciel, le MAMO dirigé par le designer Ora-ïto.

 

Une réponse à la densité

Ainsi, depuis le tournant du XXIe siècle, les toits terrasses des édifices existants comme ceux des constructions neuves connaissent une profonde mutation. Ils ne sont plus cantonnés dans leur mission originelle de couverture. Leurs nouvelles fonctions se diversifient et privilégient un usage partagé plutôt que privatif. Désormais envisagés comme un sol, les toits hébergent des aménagements bâtis aux fonctions variées : logements, cours d’école, pistes de ski, installations artistiques, plantations de plusieurs hectares et même places publiques susceptibles d’accueillir plus d’un millier de personnes.

 

Pistes de ski, BIG architectes

 

Dans les grandes villes, ces espaces peuvent s’avérer une nécessité. Ainsi, dans le 20e arrondissement parisien, rue des Haies, où une opération de 47 logements et un gymnase, sur une parcelle de 2500 m2 a été livrée par l’agence TOA en 2008. Dès le départ les réflexions étaient axées sur la question de comment rendre vivable une densité aussi forte. Les logements sont répartis autour du gymnase placé au cœur de la parcelle mais toutefois accessible par un volume vitré depuis la rue. Le bâti occupant la quasi totalité du terrain, autrefois occupé par des jardins communautaires, les architectes ont proposé d’aménager un espace vert sur le toit du gymnase, ouvert aux habitants du quartier. Cette préconisation  ne figurait pas dans la demande du concours toutefois les architectes auront ici saisi qu’un petit espace de nature est à même, si ce n’est pas de digérer la densité, c’est au moins de la rendre supportable.

 

Texte :  Sophie Trelcat

Photo de couverture : Tour Panache à Grenoble

Découvrez l’intégralité de cet article dans le numéro 99 du magazine Archistorm, disponible en kiosque.