La création de Paf atelier en tant qu’entité indépendante entre la scénographie et l’architecture est née de l’envie de concrétiser une manière de projeter l’espace, mais aussi d’allier les méthodes de conception à celle de la production afin d’avoir un ensemble pensé, dessiné et réalisé cohérent. Rapidement, nous nous sommes rendu compte de l’impact écologique de la production physique de nos propres idées. Il est inutile de tourner autour du pot, produire des projets d’espace est un acte qui pollue. Lors de sa fondation, le constat de départ de l’atelier de conception et de production est d’accepter de créer de la matière nouvelle, de consommer de la matière et de la transformer. Comment faire ? Quelle qu’elle soit, c’est inévitable, du simple transport des matériaux aux déchets engendrés par les projets. Depuis des années, nous avons des exemples et des modèles qui tentent de conjuguer excellence scénographique et empreinte zéro, sans y arriver totalement : que faire pour limiter l’empreinte de l’atelier ?
Le plus facile serait de ne pas produire de scénographie du tout. Mais cette option est bien radicale. À l’atelier, nous avons plutôt choisi d’essayer de trouver de nouvelles façons de réfléchir, de concevoir et de produire afin de continuer à pouvoir exercer nos métiers, mais en réduisant notre impact du mieux que nous pouvons.
Il s’agit d’un processus qui prend du temps et qui déconstruit la manière que nous avons appris à concevoir. L’atelier n’est actuellement aucunement en position d’affirmer que nous atteignons, sur chacun des projets que nous réalisons, l’empreinte minimale que nous visons. Notamment en ajoutant la variable des commanditaires, plus ou moins sensibles à la réduction des déchets.
En école d’architecture, ou d’espace plus généralement, l’apprentissage par le projet « conceptuel » est fondamental. Il permet à tous les étudiants et étudiantes de créer à partir d’un programme, d’un contexte, d’une analyse de site, mais surtout de développer une pensée riche, de créer de nouvelles formes et fonctions. À travers cet apprentissage, la question du terrain est très peu abordée ou en tout cas, même si on essaie de recréer des situations similaires in vitro en école, la sensation d’apprentissage n’est pas la même. Les « matériaux » sont différents, le client n’existe pas, la frustration des conditions temporelles, les aléas des transports, les sensations de réussite et de dépassement de soi, etc.
En conséquence, c’est dans la manière de penser nos projets que nous, les concepteurs, devons prendre en compte en amont avec la question du contexte et de sa localité (la présence au cœur d’un territoire politique, d’un matériau, d’un chantier, etc.). Le « fuck the context » n’a plus lieu d’être et est dépassé ! Vive l’avènement du « with the context » ! Ne faut-il pas affirmer et travailler tout d’abord avec les éléments présents ? Ne faut-il pas envisager le lieu comme source de matière première ?
Dans le processus de création de l’atelier et dans la manière de penser les nouveaux projets, nous nous posons désormais la question de la matière première, puis de la matière seconde, celle qui peut être résiduelle au projet qui peut devenir moteur de celui-ci. Au sein de l’atelier, nous envisageons nos scénographies en prenant en compte la possibilité de réutiliser d’anciens éléments que nous avons d’ores et déjà produits et stockés, en détournant l’existant et en limitant la production de « nouveau ». Les éléments, trouvés en recyclerie, de seconde main ou simplement loués ponctuellement sont rendus et utilisés sur d’autres projets, par d’autres personnes. Nous avons la conviction qu’une scénographie peut être forte et inédite, mais aussi légère et écoconçue. Ce n’est pas incompatible avec nos engagements autour de la matière.
L’atelier produit une cinquantaine de projets par année. Parfois, il n’est pas possible de les concevoir comme nous le souhaiterions, de manière aussi réfléchie, d’autant plus que cela peut dépendre de beaucoup de paramètres externes à l’atelier : le temps, le budget, le contexte, la météo, le client, etc. Le degré d’écoresponsabilité est très variable, allant d’un 10 % à 99 %. L’atelier génère des formes scénographiques pérennes qui s’engagent à parler à un grand nombre de personnes, à rester simple, pure (non autoritaire) et tendre vers une sorte « d’universalité » (toute relative à des choix scénographiques liés à un langage du commun). Nous aimons penser à cette notion, chère aux architectes, de « bien commun ».
Scénographier aujourd’hui doit être, sans équivoque, un acte de résistance contre la surproduction, la surconsommation de nouveaux matériaux, contre l’usage unique. Mais c’est aussi faire la promesse et prendre position : il faut changer la manière de considérer la matière et sa réutilisation au sein des projets, de la commande à la production, en passant par la conception. Il est impératif de penser l’après et pas seulement le pendant. Est il est possible d’inclure systématiquement cette notion dans le projet et surtout dans la commande ?
Texte : Christopher Dessus, fondateur et directeur de Paf atelier
Visuel à la une : Conception et production scénographique de la présentation LECAVALIER (2022) © Luc Bertrand
— retrouvez la tribune libre matériaux de Christopher Dessus, fondateur et directeur de Paf atelier dans Archistorm 116 daté septembre – octobre 2022