Écouter
La qualité première d’un architecte d’intérieur est de savoir « écouter » un lieu pour l’assimiler, le valoriser et le restituer. Cette « écoute » passe nécessairement par la matérialité. La matière fait en effet appel aux sens, et pas seulement celui de la vue. Elle sollicite aussi le toucher, voire même celui de l’ouïe : prenez le temps d’écouter la matière. Elle vous racontera toujours une histoire en faisant jaillir vos émotions…
Nous intervenons régulièrement sur des sites patrimoniaux chargés d’une histoire qu’il convient de respecter, car elle est à la fois gage de durabilité et du fil conducteur à développer. La transmission de cet héritage passe par la combinaison des matériaux, et nous nous donnons comme discipline de les marier avec précision pour en faire une mise en oeuvre poétique. C’est ainsi que notre dessin développe la délicatesse de révéler avec respect la vieille pierre, tout en la projetant dans une nouvelle modernité.
La conception du restaurant Les Ombres s’est ainsi faite. Nous avons repensé le lieu en nous alignant sur la volumétrie originelle. Par mimétisme, nous avons reproduit les silhouettes existantes de l’architecture du lieu grâce à l’utilisation du métal. Noble et éblouissant par essence, ce matériau révèle les cubes en bois de Jean Nouvel. Un choix qui par ailleurs augmente aussi le rythme volumétrique de l’espace, puisque le métal a cette particularité de capter la lumière et de la diffuser. Choisir ce matériaux a donné naissance à une harmonie « signature ».
Prolonger l’inspiration
Pour aller plus loin, dans la projection d’un projet, nous voyons dans la matière la capacité unique qu’elle développe à se mettre au service de la traduction d’un concept, devenant parfois même sa véritable signature. Elle nous entraîne au coeur des process innovants du design d’aujourd’hui, où convergent les univers de la nature, des sciences et des arts, pour des propositions évolutives séduisant nos cinq sens. Les matériaux nous ouvrent de nouveaux champs créatifs par l’apport de contrastes, que notre dessin matérialise par des amplifications, des dissonances, des rythmes ou des fragmentations. Le matériau peut aussi nous aider à créer l’espace même. Il offre une multitude de possibilités dans son utilisation, sa forme, ou son aspect, qu’il guide notre trait aussi bien en plan qu’en élévation. J’aime regarder le dialogue magique qui s’opère entre la matière et son environnement : observer la capacité d’un matériau à s’intégrer au volume créé tout en le révélant à la fois.
La lumière est le partenaire clé de la matière. Impalpable à première vue, elle se matérialise par la réflexion, avec la propriété fascinante de donner naissance à de nouvelles matières. Une projection lumineuse sur une matière peut littéralement faire changer son utilisation, et démultiplier ainsi les voies de conception.
Savoir marier les matériaux en trouvant le bon équilibre pour que chacun révèle l’autre ou laisse l’autre s’exprimer est au coeur de notre recherche quotidienne. Dans cette quête, notre matériauthèque est un outil précieux pour suivre et anticiper les tendances : une véritable base de données physiques et vivantes au service de notre équipe et de nos projets.
Durabilité
Conscients de la responsabilité que nous avons à jouer dans la transition climatique, nous travaillons sur le réemploi in situ des matériaux quand cela est possible, ou avec des fournisseurs le valorisant, afin de leur donner une seconde vie. De plus, nous aimons détourner leur usage, afin de leur offrir des propriétés autres que ce qu’ils offrent à l’origine. L’habillage du bar de l’hôtel cinq étoiles Le Christopher à Saint-Barthélemy a été exécuté en utilisant des panneaux en polycarbonate ondulé transparent en pointe de diamant, dont on se sert à l’origine comme écran de protection pour les toitures. En manipulant ce matériau, nous nous sommes rendu compte qu’au-delà de son coût très bon marché, il avait des propriétés de réflexion lumineuses très performantes, générant un dialogue très intéressant avec le béton qui lui est allié, tout en créant un effet de signal inédit.
Nous croyons que pour être durable, un projet doit naître de ses racines. Ces racines sont celles du lieu et de son histoire, mais aussi celles de l’environnement dans lequel on s’insère et qu’il convient de respecter. Une conviction que nous partageons avec l’agence d’architecture Bechu & Associés, dont nous sommes des partenaires intimes pour partager régulièrement des rojets, tout en étant par ailleurs indépendants. Ce lien avec l’échelle de l’architecture est important, car il nous permet de questionner les échelles, et d’échanger sur nos réflexions et nos expériences en matière d’engagement écologique et sociétal.
Texte : Aliénor Bechu, architecte d’intérieur & designer, directrice du studio Volume ABC
Visuel à la une : Réalisation du restaurant Les Ombres pour le chef Alain Ducasse au musée du quai Branly : « La prolongation et l’interprétation du geste de l’architecte » © Vincent Bourdon
— retrouvez l’article la Tribune libre matériaux d’Alienor Bechu du studio Volume ABC sur la matérialité comme source d’inspiration dans Archistorm 117 daté novembre – décembre 2022