Maude Maris aime décrire ses sujets comme « une architecture de l’émotion ». Elle déploie dans ses peintures un lexique de formes sibyllines et de textures hybrides.
On pourrait simplifier sa pratique par de la peinture de sculptures, son processus est néanmoins le résultat d’une méthode complexe qui convoque plusieurs médiums. Et la finalité de ses œuvres est particulièrement fantasmagorique.
Maude Maris utilise des fragments trouvés – des poupées, des statuettes, des branches et des fossiles – dont elle réalise des moulages. Par ce procédé de moulage, la matrice a déjà entamé son processus d’altération. Ensuite, l’objet peut être manipulé de différentes manières : poncé, coupé, remanié. « Plus il lui arrive de choses, plus il va perdre son identité de départ », confie l’artiste. Puis vient l’étape photographique : Maude Maris installe ses créations dans une mise en scène qu’elle capture avec son appareil photo. Elle peint ensuite cette image, en la redimensionnant plus de dix fois et en modifiant les surfaces, les ombres, les couleurs et la profondeur, de sorte que le produit fini ressemble à peine au modèle original.
« Plus je vais choisir un petit objet au départ, plus il va perdre des détails. Il va être débarrassé de tous les détails qui vont permettre au spectateur d’identifier son échelle. Ce qui m’intéresse, c’est que l’objet prenne une sorte de liberté et devienne complètement ambivalent. »
C’est notamment à cet endroit que Maud Maris joue avec son spectateur. Ce jeu d’échelle, combiné avec l’assemblage de couleurs ovnis qui semblent autogénérées comme les images UUmwelt de Pierre Huyghe, participe à notre perte de repères.
Aussi, tout ce processus de manipulation de l’objet original participe à sa dissolution vers une matérialité et une existence nouvelles. Chez Maude Maris, la peinture est une fin, mais elle est incluse dans un engrenage de la désagrégation. En effet, à partir de la perte (via le moulage, l’incision, la photographie), Maude Maris crée une nouvelle existence, de nouveaux objets, un nouveau monde en haute définition.
Ainsi, il n’est pas étonnant de constater l’attrait de l’artiste pour l’antique et ses formes érodées : « Dans l’antique, ce qui m’intéresse, c’est de rechercher une essence de l’objet qui tend vers une dimension abstraite. » Comme des vestiges, les assemblages peints de Maude Maris sont enveloppés d’une aura qui évoque une antiquité rêvée et anachronique.
Ces formes – amputées, méconnaissables, partielles – nous sont données dans un décor neutre qui pourrait être celui du White Cube. En effet, malgré la bidimensionnalité de la peinture, on retrouve dans son œuvre le souci scénographique de l’architecte.
Toujours à la lisière de l’abstraction, Maude Maris peint des formes qui sont les fossiles d’un présent qu’elle révèle fantastique.
Texte : Camille Tallent
Visuel à la une : Altier, 2020, Oil on canvas, 190 × 150 cm © Maude Maris
— retrouvez l’article Art & Architecture : Maude Maris, Portrait / Peinture dans Archistorm 117 daté novembre – décembre 2022