On revient toujours du Portugal avec un sentiment de gratitude, que l’on pourrait expliquer par la double sensation d’y avoir été confronté, dans le même temps, à l’altérité et à la familiarité. Être chez soi et ailleurs à la fois, être présent dans le passé et inversement, n’est-ce pas cela l’universel ? L’architecture portugaise exprime ainsi, avec rudesse et délicatesse, notre condition contemporaine.
Depuis le xviiie siècle et jusqu’à il y a une trentaine d’années, l’universalisme était essentiellement perçu comme une idée occidentale. À l’inverse, on aurait aujourd’hui plutôt tendance à plaider pour des universalismes pluriels, oxymore aussi prometteur que celui de « folklore planétaire » qu’avait développé, dans les années 1960, le plasticien Victor Vasarely. L’état présent de l’architecture semble en effet témoigner, entre autres, d’une capacité du modernisme occidental à se survivre en se fondant dans des situations et des contextes d’une grande diversité. De ce point de vue, le Portugal aurait été aux avant-postes, pour des raisons historiques et géographiques notamment, sa situation à l’extrémité occidentale de l’Europe le prédestinant à s’ouvrir au monde et au mélange. On a ainsi pu évoquer un « universalisme autre », métissé, pour qualifier la production architecturale lusitanienne du dernier demi-siècle – la belle exposition présentée en 2016 à la Cité de l’architecture et du patrimoine en témoignait.
L’universalisme de l’architecture portugaise a d’abord été le fruit d’une double approche, internationaliste et nationaliste, pendant l’Estado Novo (1960-1974) mis en place par le dictateur António de Oliveira Salazar. Une poignée d’architectes se détournait alors des voies proposées par le fonctionnalisme pur comme par le pouvoir en place, s’ouvrant à une multitude de références, britanniques, scandinaves, mais aussi locales. Cette attention au vernaculaire était facilitée par la publication, en 1961, des deux volumes copieusement illustrés de l’enquête sur l’architecture populaire, Arquitectura popular em Portugal (Lisboa, Sindicato Nacional dos Arquitectos). La démonstration faite d’un certain génie de l’architecture vernaculaire, en grande partie rurale, allait durablement marquer l’architecture du logement. Mais c’est en bord de mer, sur les plages de Leça da Palmeira, à Matosinhos près de Porto, que deux des contributions les plus marquantes de l’époque se révélaient, avec la livraison, en 1963 puis en 1966 par le jeune Álvaro Siza Vieira, de la Casa de Chá (maison du Thé) et de la Piscina das Marés (piscine des Marées). Reprenant un projet de Fernando Távora, la première se fond, aujourd’hui encore, dans le paysage maritime en s’accrochant aux rochers. Toute de béton brut, la seconde évolue, elle, au rythme des marées et frappe par son économie de moyens ; suivie par l’architecte pendant des décennies, elle a été récemment restaurée et célébrée comme un repère important dans le patrimoine moderne portugais.
Une exposition lui était en effet consacrée, à l’été 2023, au sein d’un autre lieu clé dans l’évolution de la création lusitanienne, la fondation Calouste Gulbenkian. Ses trois architectes concepteurs, Ruy d’Athouguia, Pedro Cid et Alberto Pessoa (1959-1969), réunis à l’occasion d’un concours restreint, ont œuvré ici en symbiose avec deux paysagistes, Jorge Viana Barretto et Gonçalo Ribeiro Telles, pour mettre en valeur les quatre bâtiments qui composent le programme (siège de la fondation, auditorium, espace d’exposition temporaire et musée). L’impeccable muséographie – elle-même au service d’une exceptionnelle collection –, comme le rapport de l’architecture à son environnement immédiat, ont aussitôt placé la fondation Gulbenkian au sommet des musées européens de l’après-guerre. (…)
Texte : Simon Texier
Visuel à la une : Edouardo Souto de Moura, musée Paula Rêgo, Cascais, 2008.
— retrouvez l’intégralité de l’article Patrimoine Portugal, la patrie des universalismes dans Archistorm 124 daté janvier – février 2024