Jusqu’au 21 avril 2024, la Fondation Cartier pour l’art contemporain présente « Le souffle de l’architecte », une exposition spécialement composée pour l’institution par l’architecte Bijoy Jain, fondateur du Studio Mumbai, en Inde. Un voyage onirique et contemplatif au cours duquel l’architecture, l’homme et la matière se répondent et s’enrichissent, donnant une dimension profonde, tant au bâtiment qu’à l’œuvre.
« Alors que j’étais en plein travail préparatoire pour cette exposition, j’ai eu une conversation avec Hervé Chandès, le directeur artistique général de la Fondation Cartier. Lors de cet échange, j’ai imaginé occuper pendant cinq mois l’espace de la Fondation Cartier, ou plus exactement son sol, plutôt que de l’aborder comme un lieu d’exposition. “Quel est le geste ?”, “Comment occuper l’espace ?” » La réponse à cette dernière question vient d’une expression formulée avec soin par l’architecte Bijoy Jain, fondateur du Studio Mumbai, en Inde : « Créer au son du souffle. » Pris d’une profonde préoccupation pour la relation entre l’homme et la nature, c’est une création totale que propose Bijoy Jain, explorant les liens étroits entre l’art, l’architecture et la matière. Jonglant avec l’ombre et la lumière, la légèreté et la pesanteur, convoquant le bois, la brique, la terre, la pierre ou encore l’eau, Bijoy Jain fait de cette exposition une expérience sensorielle, une invitation à inhaler, à flâner en toute quiétude et surtout à redécouvrir le silence qui, si l’on en croit le Talmud, est d’or : « Le silence a un son, nous l’entendons résonner en nous, raisonne Bijoy Jain. Ce son connecte tous les êtres vivants. C’est le souffle de la vie. Il est synchrone en chacun de nous. Le silence, le temps et l’espace sont éternels, tout comme l’eau, l’air et la lumière, qui sont notre construction élémentaire. Cette abondance de phénomènes sensoriels, de rêves, de mémoire, d’imagination, d’émotions et d’intuitions provient de ce réservoir d’expériences, ancré dans le coin de nos yeux, dans la plante de nos pieds, dans le lobe de nos oreilles, dans le timbre de notre voix, dans le murmure de notre souffle et dans la paume de nos mains. » Finalement, pour l’architecte, nos corps ainsi que le monde physique qu’ils habitent ne seraient autres qu’un palimpseste de notre évolution culturelle.
Deux artistes conviées
« En tant qu’architecte, j’apporte la plus grande considération à la façon dont sont créées les choses, confie-t-il. L’essentiel est d’être attentif à l’environnement naturel, aux matériaux et aux habitants. L’espace et l’architecture doivent être inclusifs. » Conçue au rythme du souffle et façonnée à la main, l’exposition révèle donc une installation composée de fragments architecturaux : sculptures en pierre ou en terracotta, façades d’habitats vernaculaires indiens, panneaux enduits, lignes de pigments tracées au fil, structures en bambou inspirées des tazias – monuments funéraires portés sur les épaules à la mémoire d’un saint lors des processions musulmanes chiites. Un ensemble de constructions éphémères, à travers lesquelles l’architecte – toujours dans une approche dualiste – présente un monde à la fois infini et intime, transportant dans des lieux aussi proches que lointains. Sur une suggestion d’Hervé Chandès, commissaire de l’exposition, Bijoy Jain ne sera d’ailleurs pas le seul résident de la Fondation. L’architecte a choisi de convier deux autres artistes : la Chinoise vivant à Pékin Hu Liu, ainsi que la céramiste danoise d’origine turque – ayant élu domicile à Paris – Alev Ebüzziya Siesbye. Rien n’est laissé au hasard, puisque les deux femmes accordent autant d’importance à la maîtrise rituelle du geste, à la résonance, au dialogue avec la matière, et que tous trois partagent le même ethos et la même sensibilité. Une symbiose qui a de quoi… couper le souffle.
Texte : Ana Boyrie
Visuel à la une : © Ashish Shah
— retrouvez l’artcicle dans Archistorm 124 daté janvier – février 2024