L’année 2022 aura marqué un tournant radical pour les architectes avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation énergétique et environnementale, dite RE2020. Cette dernière concerne l’ensemble de la construction neuve et s’applique dans un premier temps aux logements collectifs et aux maisons individuelles. Elle s’étendra progressivement aux bureaux, aux bâtiments d’enseignement et enfin aux équipements tertiaires. Ambitieuse et exigeante pour l’ensemble de la filière de la construction, cette réglementation a cristallisé un véritable changement de paradigme, pleinement à l’œuvre aujourd’hui.
En matière d’architecture écologique, l’accent est toujours placé sur les performances thermiques ainsi que sur une sobriété énergétique mais celles-ci se sont accrues et de nouveaux indicateurs ont été introduits tels que la qualité de l’air intérieur et l’inconfort d’été. On se souvient à cet égard des propos de l’architecte Gilles Perraudin, fortement engagé pour une construction écoresponsable et écologique, qui déclarait lors de la livraison d’un immeuble en pierre massive en 2021, dans la banlieue lyonnaise : « aujourd’hui, la problématique n’est plus tellement de chauffer les bâtiments l’hiver, mais d’assurer une résistance à la chaleur durant l’été ».
Les architectes doivent jongler avec de nouvelles exigences comme le besoin bioclimatique (B-bio, lequel a été revu), l’indicateur degrés-heures d’inconfort (DH) d’été, nouvellement introduit, ainsi qu’une analyse dynamique du cycle de vie (ACV) qui évalue l’empreinte carbone des bâtiments sur le long terme. Ces nouveaux labels réactualisent les principes bioclimatiques et incitent à utiliser des matériaux bas carbone, bio ou géosourcés, lesquels redéfinissent profondément les modes de conception et de production du bâti. À condition d’éviter l’écueil techniciste ou celui de la non-maîtrise du panel de nouveaux matériaux, le contexte a ouvert un nouvel imaginaire dont la RE2020 est l’un des rouages d’une mécanique déjà à l’œuvre depuis le début de ce XXIe siècle.
Le bon matériau au bon endroit
Ces nouvelles règles, louables dans leur détermination écologique, mettent également en lumière les particularités d’une tradition constructive bien française. Depuis les tailleurs de pierre jusqu’aux géants du béton armé, la France a souvent privilégié des structures lourdes et massives. Ces dernières, parfois vouées aux gémonies en période de greenwashing, trouvent pourtant toute leur pertinence sous les climats méditerranéens, notamment en raison de la forte inertie thermique du béton. Cette architecture sudiste, a fédéré une école aujourd’hui identifiable, dont les architectes tels que Christophe Gulizzi, l’agence CAB, Rémi Marciano ou encore Marc Barani sont les brillants représentants. Ainsi l’enjeu de la quête d’une construction décarbonée repose-t-il sur l’usage du bon matériau au bon endroit. Dans ce contexte global, les approches nord-européennes, faisant traditionnellement usage du bois et de la terre cuite, ont le vent en poupe sur la scène architecturale médiatisée. Mais le tout bois, n’est pas toujours la panacée, d’autant plus que la filière peine toujours à s’organiser et l’on se permet de ne pas être tout à fait optimiste quand au vieillissement d’un certain nombre de bâtiments.
Bien avant que ne soient scellées réglementairement les questions environnementales, de multiples concepteurs, chacun à leur manière, avaient déjà tracé une voie : Patrick Bouchain, Anne-Flore Guinée et Hervé Potin ou encore Simon Teyssou sont parmi les figures emblématiques. Fondateur de l’Atelier du Rouget et installé dans le bourg éponyme du Cantal, Simon Teyssou se distingue plus particulièrement en ayant fait émerger un courant, celui de l’architecture rurale. Engagé dans une démarche critique où la prise en compte des questions écologiques est saisie comme une opportunité de projet, l’architecte, Grand prix de l’urbanisme en 2023, partage avec ses confrères, une pensée thermique dans toutes ses dimensions, une culture vernaculaire, l’utilisation de matériaux biosourcés et encore une prise en compte réelle de l’empreinte carbone des bâtiments édifiés.
Identifier les écueils
Face aux défis de taille des réglementations environnementales, il serait facile de tomber dans une architecture normative, dictée par les calculs thermiques ou les gadgets écologiques de l’industrie de la construction. La demande, parfois inepte, de bâtiments à énergie zéro présente le risque de réduire l’acte d’architecture à la seule mise en œuvre de coffres isothermes, bardés de panneaux photovoltaïques et couverts de végétation où la qualité architecturale disparaît au profit de l’importance accordée au bilan carbone.
À Barcelone, l’agence catalane Harquitectes a réalisé un centre civique dont le coffrage thermique apporte une grande plasticité à la construction et où la partie neuve permet de préserver une ancienne cristallerie. Répondant autrement que par la technologie aux nécessités de confort thermique et de performance énergétique, l’établissement développe une enceinte protectrice de briques formant un fondu enchaîné avec les deux façades préservées de l’ancienne verrerie. En toiture d’étonnantes cheminées, gigantesques, ainsi que des cours intérieures, assurent une circulation de l’air pour obtenir une performance énergétique été comme hiver. S’approchant du « zéro consommation », la construction d’une grande puissance esthétique, est équipée de panneaux solaires installés en toiture de manière à ne pas affecter la capacité de convection des cheminées.
Dans un autre registre, le désir d’un contact avec la nature, en ville tout comme dans le cadre rural, peut-être un écueil avec des constructions « écolos » caricaturales, comme les petites maisons et équipements en bois, isolées de paille et équipées de réservoirs d’eau de pluie et d’inefficaces éoliennes sur le toit.
On se souvient néanmoins du projet manifeste, particulièrement réussi de l’architecte londonienne Sarah Wigglesworth. Pour abriter sa propre habitation et son agence d’architecture, elle a imaginé dans le quartier d’Islington, une maison écologique structurée de bois, isolée de paille, et habillée d’un matelassage de toile. Célébration tactile de matériaux, la construction intégrait également, déjà à l’époque, des matériaux de récupération tels que des gabions et des traverses de chemin de fer. Livrée en 2001, la maison basse consommation reste une icône et a été l’objet tout récemment d’une remise aux normes : quelques transformations ont permis de la faire évoluer, de l’adapter à la RE20, d’améliorer encore ses performances d’usages et thermiques, et de réduire ses consommations énergétiques.
Une nécessaire maîtrise architecturale
Dans ce contexte de la norme et du label, les architectes se doivent de garder la main sur leurs projets. En effet, leur mission ne se résume pas à concevoir des machines à produire de l’énergie ou à se perdre dans un pittoresque verdoyant. Les réglementations environnementales offrent une opportunité en or pour les architectes de se recentrer sur les fondamentaux de la discipline : structure, espace, lumière, usages, fonction, quête de sens. Installée à Nantes depuis 2002, l’agence Guinée* Potin a toujours été inscrite dans cette mouvance et développe une démarche bioclimatique bien ancrée dans son territoire. À Saint-Pabu dans le Finistère, par exemple, ils ont réalisé une école et salle multisports. Inscrit sur un terrain en pente, façonné par l’existence d’un ancien ruisseau, l’équipement est finement inséré dans le site et réinterprète les caractéristiques des architectures traditionnelles des abers de Bretagne. Un premier volet paysager a structuré la parcelle en trois plateaux tout en créant de nouveaux talus dont les plantations permettent des clôtures naturelles. Implantée au niveau bas, l’école regroupe trois longères en bois étirées d’est en ouest de manière à être protégées des vents dominants. Placée un peu plus haut, la salle multi-activités décline le même langage. Les trois volumes accolés, dont les toitures sont recouvertes de panneaux photovoltaïques, profitent ainsi de l’orientation nord-sud. Face à l’espace public de la rue, le pan de toiture le plus long est recouvert de chaume qui était un matériau courant dans l’architecture vernaculaire, avant que l’ardoise ne le remplace.
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Texte : Sophie Trelcat
Photo à la une : © Adrià Goula
— Retrouvez l’intégralité de l’article dans archistorm 127 daté juillet – août 2024