Au cœur de Villejuif, au sud de Paris, l’Établissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT) des Lozaits-Seguin, conçu par l’agence d’architecture DREAM, incarne une approche novatrice de l’architecture au service d’un projet social ambitieux. Dans un quartier populaire où le béton domine encore, le bâtiment tout en bois se dresse fièrement, témoin d’une vision engagée pour réinventer la construction neuve avec un matériau performant et écoresponsable aux bienfaits psychiques pour les usagers.

Sur un vaste terrain arboré bordé de grandes barres d’immeubles vieillissantes, un bâtiment blanc d’un seul niveau semblait légèrement délaissé. Il s’agit de l’ancien Établissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT) du quartier des Lozaits, à Villejuif, dans le Val-de-Marne. Petit et obsolète, il avait besoin de plus d’espaces pour les personnes en situation de handicap, mais aussi et surtout de pouvoir proposer une architecture de qualité afin de favoriser le bien-être au travail. Dans le cadre d’une opération de nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) porté par l’établissement public territorial (EPT) Grand-Orly Seine Bièvre et la ville de Villejuif, le bailleur social Batigère a missionné l’agence d’architecture DREAM pour concevoir un nouvel ESAT sur la même parcelle, en lieu et place de l’ancien. Il participe ainsi à la recomposition urbaine de la partie nord du secteur des Lozaits, un quartier prioritaire de politique de la ville car comptant 2 600 habitants majoritairement précaires dont un tiers âgés de moins de 20 ans, et un important taux de chômage. Pour la municipalité, il s’agit d’une opération sociale indispensable dont l’association Apogei 94 qui gère le nouvel ESAT des Lozaits-Seguin, est partie prenante : « Elle assure un accompagnement de chaque personne en situation de handicap tout au long de son parcours de vie en développant son autonomie, son inclusion et en consolidant sa place de citoyen. »

Et au milieu du béton, un peu de bois

Implanté au sein d’un parc composé d’essences locales dont les arbres centenaires conservés rythment le paysage, le bâtiment neuf s’inscrit dans le tissu urbain de Villejuif avec une présence à la fois affirmée et respectueuse de son environnement. Pour Dimitri Roussel, architecte fondateur de l’agence DREAM, le bois était une évidence. « L’utilisation du bois en structure et en vêture, qui plus est au cœur d’un nouveau parc, augmente l’acceptabilité de cette nouvelle construction au sein du quartier des Lozaits », défend-il. Une subtile façon d’intégrer la nouvelle construction dans un environnement urbain dominé par le béton. C’est un engagement de l’agence qui possède une riche expérience en matière de construction biosourcée avec déjà une dizaine d’ouvrages en structure bois à son actif (premiers bâtiments de bureaux labellisés bas carbone à Bordeaux en 2018, campus « Arboretum » à Nanterre, bureaux et équipement sportif au sein du Village des athlètes de Paris 2024), chacun apportant de précieux retours d’expérience. « Notre vision de l’architecture est profondément ancrée dans les valeurs sociales et écologiques. Le bois, notre matériau de prédilection, incarne notre quête d’une ville plus responsable, durable et saine », explique Dimitri Roussel.

L’ESAT des Lozaits-Seguin ne déroge pas à la règle, il est remarquable par son engagement environnemental. La façade bardée de pin douglas autoclave pour résister aux intempéries et imprégnation grise pour anticiper le gisement naturel du matériau, véritable signature architecturale du projet, joue un rôle crucial dans l’identité visuelle de l’ESAT. La toiture en sheds, dont le faîtage culmine à 9 mètres de haut, participe à la performance énergétique et le confort visuel. Ces toitures en dents de scie, orientées au nord, permettent un éclairage naturel optimal des ateliers tout en limitant les apports solaires directs en été. Sa structure formée d’une charpente bois, de contreventements métalliques, de tasseaux en bois et de Danpalite (panneaux en polycarbonate transparent), reste entièrement visible dans l’ensemble du projet. D’une surface totale de 3 570 m², le bâtiment regroupe quatre ateliers de production, une salle complémentaire, un réfectoire avec sa cuisine, des vestiaires, des bureaux pour le personnel d’encadrement, des espaces logistiques (stockage et cour technique). Le tout offre un cadre de travail adapté à 150 travailleuses et travailleurs en situation de handicap, issus d’un regroupement des établissements du Kremlin-Bicêtre et de Villejuif.

Quand l’épanouissement professionnel devient vecteur d’architecture

L’agence DREAM, reconnue pour son approche sensible et fonctionnelle de l’architecture, a concilié les exigences d’un espace de travail performant avec les besoins spécifiques des usagers. Pour répondre aux besoins de ce public sensible, la conception architecturale de l’ESAT s’est centrée sur l’ergonomie des espaces afin de favoriser le bien-être psychique. Cela s’est traduit par une organisation des ateliers sans couloirs, mettant l’accent sur l’apport de lumière naturelle et la transparence, avec un choix maximal de bois apparent. Les ateliers sont des lieux polyvalents et évolutifs au gré des besoins, bénéficiant de hauteurs sous plafond pouvant aller jusqu’à

5 mètres. Dans tous les espaces intérieurs, les revêtements en fibre de bois participent à créer une ambiance apaisante et confortable. Ce matériau biosourcé possède d’excellentes propriétés thermiques et acoustiques, contribuant ainsi au bien-être des occupants. Ainsi, les plafonds et les cloisons régulent naturellement l’humidité de l’air et absorbent les bruits, créant une atmosphère propice à la concentration et au travail. Car il était primordial pour les architectes de porter « une attention particulière à l’acoustique dont l’impact psychosomatique est souvent sous-estimé » et pourtant primordiale pour le bien-être des usagers.

Par ailleurs, l’agence DREAM a fondé l’association Rêve avec la volonté de créer du dialogue entre l’architecture et d’autres disciplines artistiques, et a profité de ce projet pour accueillir en 2023 Alassan Diawara en résidence artistique, en association avec les Ateliers Médicis, autour d’un travail de recherche et de création auprès des travailleuses et travailleurs de l’ESAT. L’artiste a réalisé une série de portraits des résidents dont certains sont exposés dans le hall d’entrée de l’établissement. Une belle façon de mettre en avant ces professionnels investis aussi bien dans les espaces verts de Villejuif, le conditionnement de produits de luxe, que la création d’objets du quotidien.

En privilégiant le bois, l’apport de lumière naturelle et une organisation spatiale fluide et généreuse, l’agence DREAM fait de l’ESAT Lozaits-Seguin à Villejuif un cadre de travail épanouissant pour les travailleuses et travailleurs en situation de handicap, contribuant ainsi à leur inclusion et à leur bien-être au quotidien.

Entretien avec Dimitri Roussel, fondateur de l’agence DREAM (Dimitri Roussel Ensemble Architecture Métropole)

Comment avez-vous appréhendé les personnes en situation de handicap qui fréquentent l’ESAT au sein de votre conception architecturale ?

Nous avons souhaité créer des espaces qui tiennent compte de la fragilité psychotique des utilisateurs. Nous nous sommes réellement interrogés sur la manière d’organiser l’environnement pour favoriser le bien-être de ce public sensible : intégrer le parking sous une grande toiture ventilée, supprimer les couloirs en créant une grande passerelle, utiliser du bois apparent et privilégier la transparence. Ces pas de côté vis-à-vis du programme ont beaucoup plu à l’utilisateur.

Ce projet est-il atypique pour l’agence DREAM et à quels niveaux ?

Ce projet est atypique pour DREAM car c’est le premier que l’agence a réalisé après sa création en 2018. Il s’agit d’une commande publique. En tant que fils de psychiatre, la question de la santé mentale a une résonance particulière dans mon approche de la conception de l’espace. Nous avons travaillé main dans la main avec le personnel de l’ESAT, et nous avons même financé une résidence artistique avec les Ateliers Médicis qui a participé à une meilleure appropriation de ce nouveau lieu par les travailleurs handicapés.

Quel a été, pour vous, le plus grand défi de ce projet ?

Démontrer que le bois était le matériau le plus adapté, tant pour ses bienfaits sur la santé dans le cadre d’un ouvrage médico-social que pour répondre aux défis de la construction dans les quartiers populaires. Le bailleur n’ayant jamais réalisé de construction en bois auparavant, il a fallu le rassurer et le convaincre de ses avantages.

Comment avez-vous abordé le choix des matériaux en tenant compte de l’intégration urbaine, des contraintes structurelles et de l’environnement ?

L’utilisation du bois fait sens pour réinventer la construction neuve dans les quartiers populaires où les stigmates du béton sont terribles. C’est le matériau le plus performant en termes de stockage carbone. C’est le levier le plus efficace pour faire entrer la ville de demain dans une démarche post-carbone. Les essences utilisées sont principalement le douglas en extérieur pour les bois exposés et de l’épicéa à l’intérieur. La structure en bois laissée complètement apparente à l’intérieur fait office de matériaux de finition.

Coupe perspective

Fiche technique :

Maîtrise d’ouvrage : Batigère (bailleur social)
Maîtrise d’oeuvre : DREAM (Julien De Speville, Claire Parrotin et ThéoDiverrès), Bollinger+Grohmann, LMP Conseils, Now Here Studio, Sinteo,VPEAS
Entreprises : SICRA, Elio (bardage bois), Arbonis (structure bois)
Surface : 3 570 m2
Budget : 26,5 M€ HT
Programme : Ateliers, bureaux, espaces logistiques

Texte : Laurie Picout
Photos : © Cyrille Weiner

— Retrouvez l’intégralité de l’article dans archistorm 128 daté septembre – octobre 2024