Inaugurée en juillet 1964, cette institution a été fondée par Aimé et Marguerite Maeght, marchands d’art renommés. Conçu par l’architecte catalan Josep Lluís Sert, ce lieu unique rassemble les œuvres des plus grands artistes du XXe siècle. Après six décennies d’existence, la Fondation Maeght continue de résonner avec l’esprit de ses fondateurs. Pour célébrer son soixantième anniversaire, une extension subtile conçue par l’architecte italien Silvio d’Ascia a été ajoutée, offrant de nouveaux espaces tout en respectant l’harmonie originelle du lieu. De nouvelles salles, invisibles, étoffent la déambulation artistique où chaque élément, des sculptures aux jardins, dialogue avec l’architecture. La Fondation Maeght demeure un symbole vibrant de l’art moderne, où chaque visiteur peut redécouvrir la fusion unique entre art moderne et contemporain, nature et architecture.

Des liens et des lieux

Au cœur des Alpes-Maritimes, sur les premières hauteurs de Saint-Paul-de-Vence, émerge un sanctuaire de l’art moderne : la Fondation Maeght. C’est en juillet 1964 que ce lieu d’exception, témoin de rencontres singulières et de créations exaltantes, a vu le jour, sous les auspices de l’éminent André Malraux, ministre d’État en charge des Affaires culturelles. « Il s’est peut-être passé ici quelque chose dans l’histoire de l’esprit », déclarait-il lors de l’inauguration. La Fondation venait d’être construite par le Catalan
Josep Lluís Sert pour les marchands d’art Aimé (1906-1981) et Marguerite (1909-1977) Maeght. L’événement réunissait, parmi les plus grands artistes de l’époque, Miró, Giacometti, ou encore Chagall pour lesquels le lieu avait été créé. Yves Montand, venu en voisin, et Ella Fitzgerald y chantaient en duo le soir du vernissage. Depuis sa création, le site n’a cessé d’accueillir toutes formes d’art : Aimé Maeght ne faisait aucune hiérarchie entre peinture, sculpture, musique, danse, architecture et regroupait les disciplines sous le seul dénominatif : « des arts vivants », c’est-à-dire les œuvres des artistes avec lesquels lui et sa famille vivaient.

C’est dans la Cour Giacometti en 1966 que se produisit pour la première fois en France la Merce Cunningham Dance Company, sur des musiques de John Cage et dans des décors de Jasper Johns, Robert Morris et Frank Stella. La même année, Duke Ellington, en visite à la Fondation, y improvisa son fameux Blues for Miró. L’architecture ne fut en rien laissée pour compte. Durant l’été 1970, un gonflable dessiné par l’architecte-
ingénieur Hans-Walter Müller y fut érigé afin d’abriter un festival de musique et d’art contemporain. Au fil des années, la Fondation a accueilli un éventail éclectique d’événements, des concerts de toutes natures aux défilés de mode prestigieux, insufflant à chaque occasion un courant nouveau dans ses murs chargés d’histoire.

« L’origine de la création de la Fondation Maeght dans les années 1960 est avant tout une histoire d’amitié, une aventure humaine unique entre mes grands-parents, collectionneurs et galeristes d’exception, Marguerite et Aimé Maeght, avec un cercle incroyable d’amis artistes […] André Malraux a, le soir de l’inauguration, dit « Ceci n’est pas un musée, mais un lieu créé par l’amour et pour l’amour de l’art et des artistes. » (Saint-Paul-de-Vence, 28 juillet 1964). »
Isabelle Maeght, petite-fille des fondateurs Aimé et Marguerite

« Un lieu d’art moderne parmi le thym et le romarin »

La Fondation est née d’un deuil. Suite au décès du cadet de leurs deux fils, Bernard, en 1953, Aimé et Marguerite Maeght se sont réfugiés à Saint-Paul-de-Vence où ils avaient acheté des terres quelques années auparavant. Sur les conseils de Braque et de Léger, ils décident « d’entreprendre quelque chose qui les aiderait à dépasser leur peine ». Ce sera « un lieu d’art moderne parmi le thym et le romarin », tel que l’avait joliment formulé Aimé Maeght dans son journal de bord. L’entrepreneur s’accroche à ce projet, d’autant plus qu’à l’occasion du débroussaillage de la pinède, sont exhumés les vestiges d’une modeste chapelle datant du XIIe siècle qui s’avère être dédiée à saint Bernard.

Après avoir voyagé aux États-Unis en 1955, afin de visiter les grandes fondations américaines telles que Barnes, Philips et Guggenheim, la volonté des époux Maeght est de bâtir sur leurs six hectares de pinède, à flanc de la colline des Gardettes, « une sorte d’utopie », un village où les artistes dont ils sont proches viendront travailler. L’idée commence à se concrétiser lors de la visite de Aimé et Marguerite Maeght chez Joan Miró, dans son atelier de Palma de Majorque qu’a dessiné son ami Josep Lluís Sert. Tous deux natifs de Catalogne, les créateurs entretiennent une relation intellectuelle et amicale depuis les années 1930.

Enthousiasmés par l’architecture de Sert, les Maeght le sollicitent pour l’édification de leur Fondation. Sert en articulera les bâtiments autour de la chapelle Saint-Bernard, reconstruite sur le même emplacement. L’ensemble, qui doit être « un anti-monument » tel que le défend Sert, s’organise comme les maisons d’un village traditionnel autour du lieu de recueillement.

Une relation indéfectible avec l’architecte se noue, et la première Fondation indépendante en Europe consacrée à l’art moderne et contemporain est ainsi créée. Elle est immédiatement reconnue d’utilité publique. Donner forme à l’univers des artistes est une commande parfaite pour Josep Lluís Sert qui entretient un rapport étroit avec ces derniers. L’architecte, qui souhaitait devenir peintre, avait par ailleurs l’expérience de la réalisation du Pavillon de la République espagnole pour l’Exposition internationale de 1937 à Paris. La construction radicale avait pour objet l’art, sa monstration ainsi que sa diffusion, et abritait notamment le tableau Guernica de Picasso. Enfin, à Saint-Paul-de-Vence, Sert bénéficie d’un contexte idéal pour la pleine expression de son concept d’« architecture méditerranéenne » et de son idée que « l’architecture peut être une sculpture ».

« Tout en préservant son identité unique et sa relation avec la nature, Silvio d’Ascia a intégré quatre nouvelles salles sous les cours extérieures actuelles, dédiées à Miró et à Giacometti, dans l’épaisseur du mur en pierre calcaire sur lequel Sert avait posé son bâtiment en 1964. »
Adrien Maeght, président, Fondation Maeght

Une architecture fragmentée

Dès le départ de la collaboration, Josep Lluís Sert s’est rendu à Saint-Paul-de-Vence pour travailler sur place à la conception de l’édifice avec les artistes concernés. Alors que le bâti ne couvre que 850 m2, l’architecte parvient à recréer la fragmentation d’un village avec son balcon, son agora centrale, ses cheminements et sa chapelle, où les volumes sont faits de matériaux simples – briques, tomettes, béton, pierre – parfaitement intégrés dans le paysage.

Après avoir traversé le jardin des sculptures, on pénètre dans la Fondation par une fine galerie. La lumière y est filtrée par de délicats croisillons, en terre cuite émaillée vernissée blanche, disposés devant les parois vitrées au sud. Ce vestibule permet d’accéder directement à la Cour Giacometti et il dessert, de part et d’autre, deux ensembles bâtis accueillant les expositions intérieures.

À l’est, le cloître est formé par une ceinture de petites salles de dimensions variées. Elles s’enchaînent selon différents niveaux pour s’adapter à la parcelle en pente. Ouvertes vers un patio et un bassin tapissé de mosaïques de Georges Braque, elles alternent des parois pleines avec les œuvres, et d’autres vitrées, pour des moments de pause où le regard se tourne vers la nature. La qualité de la lumière fut une question majeure pour Sert qui avait mis au point un système d’éclairage à claire-voie prenant la forme de demi-voutains. Ils s’avèrent d’une grande expressivité plastique, et il les déclinera dans de nombreux projets. Ces éléments fonctionnels, habitant les toitures, transfigurent la radicalité de l’architecture de Sert.

À l’ouest, la Salle de la Mairie, de plus grande ampleur, est surmontée de deux gigantesques impluviums qui déploient leurs ailes en porte-à-faux sur la Cour Giacometti. Symboles de la Fondation, se prêtant à de multiples interprétations, ils évoquent l’esthétique formelle moderniste de l’art de leur époque. Au-delà de leur charge symbolique, ces impluviums, qui avaient été inventés pour les villas romaines, assurent la récupération de l’eau de pluie. Celle-ci circule ensuite en boucle dans les bassins du labyrinthe Miró et rafraîchit les lieux.

C’est pour la Salle de la Mairie que Chagall avait réalisé le plus grand tableau de toute son œuvre : La Vie figure aujourd’hui comme l’une des pièces les plus célèbres de la collection Maeght. Sur la toiture accessible, deux grandes terrasses offrent une perception différente de la fusion entre art, architecture et paysage : depuis ce balcon, on perçoit à quel point les espaces d’exposition extérieurs du labyrinthe forment un tout indissociable du cloître et de la Mairie. Espaces intérieurs et extérieurs forment une déambulation artistique qui se parcourt selon des boucles aux possibilités multiples. Consacré aux sculptures et mosaïques de Miró, réalisées avec le céramiste et critique d’art Josep Llorens Artigas, le labyrinthe fut dessiné par Sert et Miró lui-même. Il se déploie sur plusieurs niveaux de restanques, en partie nord-ouest de l’ensemble bâti. Avec son épais tapis de graviers blancs captant la lumière, la déambulation s’y fait discrètement sonore, le long de solides murs courbes en pierre ocre. À la manière d’une œuvre de land art, Miró y avait introduit un fil d’Ariane en peignant une ligne blanche continue sur le dessus des murets.

Sert et Miró travaillèrent à quatre mains sur le site. Ils avaient fait réaliser des maquettes en bois des sculptures, afin de vérifier que l’échelle était bonne. Tout comme à Palma de Majorque, l’architecture donne ici forme à l’univers de Joan Miró. Sert aura saisi l’enjeu de ce projet de fondation privée dans son rapport avec les artistes : la totalité des œuvres dispersées entre murs et jardins, patios et terrasses, tissent une étroite relation avec l’architecture. De plus, habitué à construire dans des climats méditerranéens, Sert est parvenu à créer à Saint-Paul-de-Vence des bâtiments habilement ouverts sur l’extérieur et baignés de lumière. Moderniste radical, inspiré tant par Gaudí, Le Corbusier, que par les artistes qui l’entourent, Sert s’est fondé une esthétique qui lui est propre, et ses édifices ont la chaleur espagnole que n’auront jamais les réalisations du maître suisse chez qui Sert aura été formé de 1927 à 1929.

« Dès le démarrage du projet, le défi a été de construire la structure de l’extension sous les fondations du bâtiment existant. Afin de conserver l’intégrité de ce dernier, il a été nécessaire de renforcer sa structure en périphérie de la Cour Giacometti, en consolidant les fondations sur une profondeur de 5 m. »
Laurent Nauche, directeur général de la division Génie Civil France, Triverio Construction

Une émotion intacte

Après soixante années d’existence, la Fondation n’a pas tellement changé de celle qu’inaugurait André Malraux en 1964. La déclaration de l’intellectuel et homme politique, évoquant l’esprit des lieux, reste d’actualité. Les Giacometti veillent toujours sur la cour éponyme, la dimension onirique dans le bestiaire du labyrinthe ne s’est en rien tarie, il y perdure encore le crissement des cailloux, les concerts de cigales, le frémissement des pins sur fond de Méditerranée. Les poissons en mosaïques du bassin Braque n’ont jamais cessé de captiver. À chaque déambulation dans les lieux, l’architecture, les sculptures, les jardins et les tableaux que l’on croyait connaître apportent de nouvelles lectures. Pour son soixantième anniversaire, l’art de bâtir est à nouveau convoqué avec la réalisation d’une extension. Cette dernière permet d’étendre la Fondation de 500 m2 auxquels s’additionnent 80 m2 de reconversion d’espaces existants. Avec plus de 130 000 visiteurs par an, mais seulement 850 m2 de surface d’exposition intérieure, ce lieu majeur de l’art moderne accueillait difficilement une exposition temporaire conjointement à l’exposition d’une partie significative de sa collection permanente. Réunissant 13 000 œuvres, celle-ci est l’une des plus importantes à l’échelle européenne. Déjà, en 1973, Aimé Maeght pressentait la nécessité d’agrandir les lieux. Le projet imaginé par l’architecte italien Silvio d’Ascia, dont l’agence est installée à Paris, permet d’enrichir la programmation, d’en diversifier les formes et de développer expositions et événements de manière transverse et complémentaire. « L’extension de la Fondation Maeght est un projet invisible », explique Silvio d’Ascia qui synthétise on ne peut mieux un projet enrichi d’une maturation de longue date : « Deux nouvelles salles se glissent sous les deux cours extérieures dédiées à Miró et à Giacometti, dans le socle en pierre sur lequel Josep Lluís Sert avait posé son bâtiment.

Il ne fallait rien ajouter, mais au contraire soustraire, en creusant dans le terre-plein du remblai du chantier des années 1960, pour construire de nouveaux espaces, ouverts vers la pinède au sud et en dialogue constant avec la nature. » Nourri de culture italienne et plus spécifiquement napolitaine, Silvio d’Ascia entretient un rapport étroit avec l’histoire de l’architecture et des villes, faite de sédimentations, mais néanmoins envisagée comme vivante. À travers sa pratique, l’architecte a toujours défendu la nécessité d’en préserver les strates et de les étoffer dans une même logique.

Arpenteur de l’architecture

« Un bon écrivain est d’abord un bon lecteur », cette affirmation de l’écrivain Philippe Sollers (1936-2023) pourrait être parfaitement transposée à l’architecture : un bon architecte est aussi un arpenteur de lieux.

Pour comprendre l’architecture et les territoires dans lesquels il intervient, Silvio d’Ascia, réalise de multiples croquis. Depuis les prémices de la conception jusqu’à la livraison des projets, cette posture d’insatiable dessinateur reste valable. Le dessin est pour l’architecte le moyen de comprendre les proportions, de déceler la présence de trames ou du nombre d’or dans le bâti : « La géométrie est de l’ordre de l’indicible mais elle est primordiale en ce qui concerne la perception spatiale », précise-t-il. À la Fondation, plus précisément, le modelage du plan repose sur le système du Modulor qu’avait élaboré Le Corbusier. Quant à la trame des voutains, elle accompagne la rythmique de la composition d’ensemble. Par ailleurs, l’architecte italien connaît d’autant mieux le bâtiment dessiné par Sert qu’il avait été missionné en 2010 afin d’en réaliser la mise en conformité. Il s’agissait d’accueillir au mieux les personnes à mobilité réduite. Les systèmes de chauffage et de ventilation, les réseaux d’électricité, devaient être aussi entièrement revus. Dans le cadre de la transition énergétique, des modifications entamées en 2023, et qui nécessiteront deux années d’interventions, consistent à remplacer les simples vitrages par des doubles, dont la mise en œuvre préserve la finesse des menuiseries. Chaque intervention fut l’objet d’un travail d’orfèvre afin de ne rien dénaturer et de retrouver les mêmes dispositifs et matériaux qu’à l’origine.

Une mémoire structurante

Peu banal, le lien de Silvio d’Ascia avec la Fondation Maeght assure une forme de continuité avec l’histoire des lieux et son rapport avec les arts : passionné de dessin et de sculpture, il découvre la Fondation, adolescent, à travers un livre d’art emprunté dans la bibliothèque familiale. Dans l’ouvrage, une photo pleine page représente un ensemble de sculptures regroupant des personnages filiformes, orientées vers le centre d’une place. Il s’agissait d’une photo à la Fondation Maeght représentant la série L’homme qui marche de Giacometti, installée dans la cour qui porte son nom. Souvenir resté vivace pour Silvio d’Ascia, cette image fut une révélation, car elle montrait que la puissance de l’architecture peut advenir de la fusion entre les matières, les éléments fonctionnels, l’art, la nature, l’horizon, le ciel. Découverte inspirante pour le projet d’extension : il ne faut surtout pas toucher à ce parfait équilibre selon l’architecte qui n’oublie pas de rappeler que la charge émotionnelle du lieu reste liée à la sublimation de la souffrance des époux Maeght. Délicate œuvre de mémoire, la chapelle Saint-Bernard fut magnifiquement reconstruite par Sert à l’emplacement des ruines originelles. Utilisant le même système de voutains pour y faire pénétrer la lumière, elle comprend des vitraux dessinés par Georges Braque et Raoul Ubac, ce dernier ayant également imaginé le chemin de croix taillé dans l’ardoise. Association subtile des époques, un Christ espagnol en bois, datant du XIIe siècle, offert par le couturier Cristóbal Balenciaga, veille sur les lieux.

Construire pour « l’homme qui marche »

Au fil de la déambulation dans la Fondation, l’escalier existant en partie nord-ouest amène tout naturellement aux deux nouvelles salles d’exposition glissées dans l’épaisseur du soubassement en pierre construit par Sert. Bien que souterraines, elles sont baignées de lumière au moyen d’immenses cadrages, toute largeur et toute hauteur, orientés vers la pinède et l’horizon. La plus grande salle, d’une superficie de 392 m2, placée sous la Cour Giacometti, est accessible par une galerie introductive née de la rénovation d’un ancien espace technique. Large de 14 m pour 28 m de long, elle est un volume libre de tout point porteur, ce qui la rend malléable aux différentes pratiques artistiques. Sous la courette Miró, restituée en cour ouverte comme à l’origine, la seconde salle d’exposition est de plus petite échelle. Développée sur 66 m2, elle est en connexion directe avec la première par une nouvelle galerie de 44 m2. Cette dernière reprend la forme en sinusoïde de la terrasse qui lui est supérieure. Si la relation entre l’art et la nature est maintenue par les ouvertures aux extrémités des salles, la promenade architecturale respecte elle aussi le fondement des lieux : grâce à une nouvelle sortie en partie sud-est, elle assure la continuité du parcours avec le labyrinthe, en passant par la Cour Miró puis par la Cour Giacometti : « La notion de parcours est majeure à la Fondation Maeght, où l’expérience des lieux est un unicum ! Il faut toujours penser à L’homme qui marche et encore davantage à la Fondation Maeght », rappelle Silvio d’Ascia.

« Des liens et des lieux »

Au final, ce projet d’extension où l’architecture prend forme par soustraction de matière est quasi imperceptible. Il ne signifie pas pour autant l’effacement qui lui ferait perdre de son sens, et il est toujours possible de continuer l’histoire d’un lieu, mais avec mesure et équilibre. La présence des deux nouveaux volumes, nés d’un effet de glissement, est marquée par un léger débord par rapport à la limite de soubassement qu’avait dessinée Josep Lluís Sert. Pour renforcer cet effet, la ligne de sol ménage un vide d’une cinquantaine de centimètres entre le bâti et le sol naturel. Pour tenir l’intégrité du concept dans sa totalité, les choix des matériaux et de leur colorimétrie ont été une préoccupation constante tout au long de la conception. Réalisés en béton de site, les volumes en saillie sont de la même couleur que la pierre locale du socle. Texturée, la matière brute conserve les traces de son bois de coffrage tel que le présentent également les bétons blancs proposés par Sert. Quant aux pierres récupérées sur le chantier, elles ont été utilisées pour édifier les nouveaux murs de soubassement. À l’intérieur des salles, les sols sont en travertin clair et veiné, exactement de même texture que celui déjà présent à la Fondation, dans le vestibule et sur les escaliers d’accès à la Cour Giacometti. Ces camaïeux de beige accrochent la lumière et la diffusent dans la profondeur du volume. La couleur assure également une continuité avec les parois en béton de site et le socle en pierre calcaire. Aucun détail n’a été laissé aux mains du hasard, une approche qui a permis de garder vive cette étincelle qui fait la beauté de l’architecture de la Fondation Maeght. Et l’on ne peut que saluer, à travers ce chef-d’œuvre d’architecture et d’équilibre, la capacité des deux créateurs, ayant œuvré à soixante années d’écart, d’avoir su nourrir de leur sensibilité d’artistes leur versant bâtisseur. « Les lieux sont aussi des liens. Et ils sont notre mémoire. »

Entretien avec Silvio d’Ascia, architecte fondateur, Silvio d’Ascia Architecture

Comment cette idée de construire en dessous, dans la profondeur, est-elle venue ?

Sur les photos d’époque de la construction de la Fondation, notamment celle représentant Aimé Maeght en tenue de chantier dans la Cour Giacometti, j’avais remarqué qu’elle était entièrement édifiée sur des remblais. Le chantier, à l’époque, consistait à creuser d’un côté et à construire d’un autre sur la décharge de terre, ce qui nous a permis de creuser en profondeur et d’enlever les terres de remblais soixante ans plus tard. Je défends toujours l’idée qu’il s’agit d’un projet de soustraction où nous avons enlevé de la matière. Nous avons creusé quasiment 4 000 m3 de terre pour glisser les nouvelles salles. Au final, c’est un projet de vide. Le meilleur geste est parfois celui qui est silencieux, ce qui ne signifie pas s’effacer. Il est possible de continuer l’histoire, mais avec un certain sens de la mesure et de l’équilibre. Le fait de construire en soustraction, par le bas et dans la même emprise, c’est respecter les règles du jeu d’intervention dans l’existant et ainsi en maintenir les proportions. Il n’y a pas d’ajout mis à part les deux grandes baies vitrées vers la pinède qui reprennent le thème du cadrage que Sert a toujours voulu vers la nature.

Fiche technique :

Maîtrise d’ouvrage : Fondation Marguerite et Aimé Maeght
Maîtrise d’œuvre : Silvio d’Ascia Architecture, Builders & Partners
Entreprises : APAVE (bureau de contrôle, coordinateur SPS), BUILDERS & PARTNERS (MOex), FONDASOL (BET géotechnique), SSI PCA SUD-EST (coordinateur), TRIVERIO – VINCI CONSTRUCTION (macro-lot), SNADEC (désamiantage), UPSOS (BET façades), Marshall Day (acoustique), 8’18 » (éclairage), ALP ASCENSEUR (élévateurs PMR), MONEL (Cfa/Cfo/SSI), CPCP MATEMONA (CVC/plomberie), GIRAUD (menuiseries extérieures), REGIS (menuiseries extérieures et serrurerie), GEZE (portes automatiques), MANUEL DA CRUZ (façades pierre et ravalements), RAX RENOV (plâtrerie – faux plafonds – Revêtement sol PHASE 1),CKAT (plâtrerie – faux plafonds – revêtement sol PHASE 2), NICOLAS FREDERIC (peinture), TERRE ET CREATION (paysage), Manetti Gusmano & Figli (tomettes), Vitrocsa (conception et  fabrication des baies vitrées de grande portée), Margraf (travertin), ERCO (éclairages), Fade – Ecophon Saint-Gobain (faux-plafond acoustique)
Surfaces : 2 900 m2 surface totale / 2 400 m2 existant (dont 850 m2 d’exposition) + 500 m2 d’extension exposition + 80 m2 reconversion d’espaces existants
Budget : 5,5 M€
Programme : Réhabilitation et extension du musée et de ses jardins

Texte : Sophie Trelcat
Photos : © Sergio Grazia

— Retrouvez l’intégralité de l’article dans archistorm 128 daté septembre – octobre 2024