Entretien | Nicolas Michelin, penser la ville après

Après avoir fondé et dirigé l’agence ANMA, l’architecte et urbaniste de renom, Nicolas Michelin, a récemment choisi de faire un pas de côté en créant le Studio MAE afin de consacrer la quasi-totalité de son temps à l’expérimentation de nouvelles façons de réfléchir et de concevoir la ville, plus écologiques et libérées de la pression de la promotion.

Quelle mission attribuez-vous au Studio MAE ?

En créant le Studio MAE, je souhaitais proposer une nouvelle structure d’expérimentation sur l’écologie, favoriser une nouvelle manière de penser, de faire du logement, de travailler avec le déjà-là, fixer un cadre où la pression de la promotion ne pouvait s’exercer.

Le studio fait appel à des architectes, artistes et autres profils sur des thématiques variées. À travers cette structure, je suis notamment l’Architecte conseil de la ville de Lyon. Le Studio MAE réalise également 30 maisons de ville extrêmement économiques sur un site ANRU pour un promoteur de l’économie sociale et solidaire. Nous travaillons sur la possibilité de partager les espaces ou encore sur la reconversion d’un silo en y proposant une galerie d’art à rez-de-chaussée et des bureaux à l’étage.

Vous avez récemment écrit un livre Penser la Ville après via lequel vous appelez à radicalement changer de paradigme. Quel rôle l’architecte a-t-il dans ce changement de mode de réflexion  et d’opérer ?

Nous ne vivons pas une crise, nous vivons un bouleversement, dans le sens où il n’y a pas possibilité de revenir en arrière. Nous sommes obligés de penser autrement, notamment sur le foncier. La crise est diverse : elle est climatique mais aussi environnementale. L’architecte dispose d’un rôle central pour résoudre cette crise car il comprend mieux le site. Or ce doit être le site qui donne la règle. Le plus souvent, malheureusement, nous suivons les PLU et créons des projets qui ne sont pas adaptés. Un projet sur mesure est celui qui se glisse dans l’existant. Il permettra de proposer une approche écologique.

Il est souvent dit que l’architecture est une œuvre d’art, je ne le crois pas du tout. Le rôle de l’architecte est de faire en sorte que son bâtiment vive en toute discrétion dans son environnement, comme s’il n’avait jamais été là auparavant. Dans cette approche, le rôle de l’architecte devient extraordinaire, c’est à lui d’effectuer ce qui a du sens par rapport au site.

Je pense que la promotion classique est vouée à disparaître car la construction ne peut plus être confondue avec la financiarisation. Un bouleversement est en cours et il faut que l’architecte-urbaniste prenne sa place. La ville ne doit pas être une succession d’objets. Elle est aussi rues, places, parcs, venelles…

Quel est votre idéal d’architecture ?

Il s’agit tout d’abord d’une architecture discrète que j’appelle l’« ordinaire extra ». Faire une architecture extraordinaire est facile. Faire une architecture ordinaire qui est extra, qui se fond dans le paysage, est plus compliqué, mais elle sera réussie car elle fonctionne avec son environnement.

Il s’agit aussi d’une architecture qui utilise les énergies naturelles, qui travaille avec l’inertie, le vent, le soleil. Elle est en outre frugale, flexible et légère. Sa qualité consiste en une forte capacité à s’insérer dans son site. Il s’agit d’une architecture contemporaine qui ne s’impose pas et respecte son environnement. Celle qui fait avec le déjà-là.

Quelles sont les personnalités qui ont, selon vous, compris les changements nécessaires ?

Dans mon livre, je parle d’Ulrich Beck, qui a tout à fait compris la fin de la modernité. Dans La société du risque, il décrit à quel point nous n’avons jamais été dans un monde aussi incertain.

Michel Serres était aussi très clairvoyant quand il a écrit Le contrat naturel. Dominique Bourg fait de bonnes propositions pour un retour à la terre. Son texte est à la fois utopique et sincère. François Ruffin a émis des idées intéressantes sur le partage des richesses. Et puis, il y a tous ceux qui sonnent l’alarme comme Hélène Grosbois ou Thomas Wagner.

Simon Teyssou, Grand Prix d’Urbanisme 2023, présente un urbanisme qui n’a rien de prétentieux, il est attentif au site et propose la petite échelle. Beaucoup de jeunes agences d’architecture ont aussi réellement compris la situation.

Enfin, récemment, j’ai créé l’Alarme Club dont la mission est d’alerter sur les situations difficiles. J’ai le plaisir d’y travailler avec des architectes, artistes, philosophes, sociologues, anthropologues très éclairés.

Par Annabelle Ledoux
Photo de couverture : Inconcevable, Nicolas Michelin © Nicolas Michelin

— Retrouvez l’article dans Archistorm 129 daté novembre – décembre 2024

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