Conçu par l’agence Clé Millet Architectes, le projet vise une double intégration : d’une part à l’échelle urbaine par une insertion dans un site entre deux communes ; d’autre part à l’échelle immédiate, par l’instauration d’un dialogue avec les infrastructures portuaires, l’éperon et le fleuve de la Liane.
L’équipement culturel et événementiel de L’Embarcadère, inauguré par l’agglo-
mération en septembre 2024, a été construit à proximité de l’ancienne gare maritime de Boulogne-sur-Mer, dans le site de l’Éperon alors en cours de requalification.
Cet équipement d’une superficie de 6 915 m2 se compose de deux salles de spectacle, reliées par un foyer central. Afin d’offrir une réponse adaptée à des usages culturels et événementiels variés, les deux salles modulables atteignent respectivement des capacités de 400 et 3 000 spectateurs.
Caractère du site portuaire
La vallée de la Liane ouvre sur la mer en séparant les agglomérations de Boulogne-sur-Mer et d’Outreau, et constitue un accès vers l’intérieur des terres. De chaque côté, des reliefs atteignant 100 mètres d’altitude marquent l’embouchure.
La proximité avec l’Angleterre a favorisé le développement d’une infrastructure portuaire importante dédiée au transport et au commerce. Celle-ci se compose d’ouvrages majeurs autour de la gare maritime tels que des appontements et rampes d’accès. L’échelle monumentale du site est soulignée par l’ampleur de l’île artificielle de 700 mètres de long, caractérisée par une architecture monolithique.
« Au cœur d’un lieu chargé d’histoire, le site renoue avec son patrimoine et l’ancienne gare maritime tout en projetant le quartier dans une nouvelle dynamique. L’architecture audacieuse de cet équipement, qui s’inscrit dans le cadre des anciens appontements, reflète notre volonté de valoriser l’identité du lieu en lui insufflant une nouvelle vie. »
— Frédéric Cuvillier, Président de la Communauté d’agglomération du Boulonnais, Maire de Boulogne-sur-Mer et ancien Ministre
Intégration et dialogue avec la gare maritime
L’Embarcadère, par ses dimensions imposantes, adopte un volume monolithique. Cette approche s’accorde à l’échelle contextuelle de la gare maritime. Le choix d’une architecture monobloc constitue une réponse adaptée à la grandeur du site et permet d’établir un dialogue avec les autres structures qui jalonnent le parcours le long de la Liane jusqu’à l’océan.
L’édifice établit donc un lien avec la gare maritime, non seulement dans ses références formelles, mais aussi par la conception de ses façades et circulations. La forme trapézoïdale de l’architecture prolonge les pentes caractéristiques des appontements du port puis les rampes qui conduisent aux balcons à partir du foyer convoquant l’image des passerelles d’embarquement.
Le foyer central a été élaboré à l’image d’une lanterne visible depuis les deux villes, sans entraver les vues environnantes. Ce volume transparent qui s’élève sur deux étages offre des perspectives sur le site et sur la mer.
Structure et procédé de mise en œuvre
La structure de l’édifice repose sur un système de fondations en pieux adapté pour s’aligner au maillage préexistant. Environ 190 pieux d’une profondeur variant entre 17 et 25 mètres assurent la stabilité du bâtiment.
Les façades sont constituées de panneaux préfabriqués en béton armaturé et matricé, superposés afin de former une enveloppe continue qui atteint des hauteurs de 12 à 22 mètres. Pour garantir une étanchéité optimale de cette peau en béton, une protection contre la porosité face aux vents chargés de sable et aux embruns salés a été ajoutée, et une isolation thermique et acoustique a été intégrée aux panneaux.
Les murs sont construits en voiles de béton d’une épaisseur de 40 centimètres. Le bâtiment se divise en trois parties distinctes reliées par des joints de dilatation. Cette disposition permet à chaque section d’être structurellement indépendante et de réduire les transmissions solidiennes entre les volumes. La toiture repose sur une charpente métallique légère afin de réduire le poids global des charges et d’intégrer un gril technique à l’usage des salles de spectacle. En sous-face, une nappe d’absorption acoustique a été installée pour répondre aux exigences de confort sonore.
Matérialité d’un ouvrage en béton
L’utilisation du béton répond donc à plusieurs exigences techniques et envi-
ronnementales. La matérialité du projet s’inscrit tout d’abord dans une continuité avec la rugosité brutaliste de la gare maritime et de ses portiques. Ensuite, sa portance s’adapte aux contraintes structurelles liées aux conditions marines. Enfin, il offre des performances élevées en termes d’isolation acoustique et de durabilité.
L’ouvrage repose sur une alternance marquée entre des surfaces pleines et vides qui dessinent un damier induit par la répartition intérieure de deux salles de spectacle de part et d’autre du foyer. Ce damier se distingue par une combinaison d’effets visuels : les surfaces opaques de béton matricé se mêlent aux panneaux de verre et aux éléments métalliques afin de créer une vibration optique sensible aux variations d’angles de vue ou de lumière.
Aménagements de l’équipement culturel
L’édifice peut accueillir simultanément 3 400 spectateurs tout en répondant aux exigences de sécurité, de circulation et de fonctionnalité.
Les circulations sont conçues dans l’objectif de dessiner un parcours fluide évitant les entrées et sorties répétées. L’entrée principale, orientée vers la Liane, est desservie par une zone de stationnement alors que l’accès logistique se situe à l’opposé. La distribution intérieure répond aux impératifs d’isolation acoustique et de séparation des flux. Ainsi, les deux salles de spectacle sont indépendantes ; peuvent donc s’y tenir sans interférences sonores deux événements simultanés.
Les niveaux supérieurs sont réservés au public, le foyer articule les espaces intérieurs et extérieurs et relie les deux salles. Situé à 3,50 mètres au-dessus du sol, cet espace s’élève sur deux niveaux et accueille un bar, souligné par le décor d’un mur doré. Les étages logent également des salles de conférence et de réunion favorables à un usage du site en palais des congrès. Le rez-de-chaussée, dédié aux besoins techniques et fonctionnels des deux salles, abrite des loges mutualisées ainsi qu’une cafétéria des artistes. Un espace de livraison est aménagé avec un accès direct aux scènes.
Fonctionnalités et polyvalence
L’Embarcadère est conçu pour offrir une grande polyvalence et accueillir divers types d’événements : congrès, expositions, spectacles ou manifestations événementielles.
La grande salle, d’une superficie de 1 800 m², propose une capacité de 3 000 spectateurs en configuration assise/debout et de 1 500 à 2 000 en configuration assise. Sa conception modulaire permet d’adapter l’espace au nombre de spectateurs grâce à des rideaux de jauge qui peuvent isoler certaines parties de la salle. Le parterre peut également être divisé en deux sections de façon rapide. Le balcon bénéficie d’une acoustique optimisée, tandis que l’ensemble de la salle offre un confort visuel conforme aux normes cinématographiques du CTC. La salle de musiques actuelles, d’une capacité de 400 personnes debout et 250 assises, comprend une tribune télescopique, surplombée d’un balcon-régie fixe.
Enfin, à l’entrée extérieure du site, deux extrusions en forme de pyramidion dissimulent des escaliers de secours, qui, habillés d’une résille métallique, complètent l’esthétique architecturale du bâtiment tout en les affranchissant d’un système de désenfumage interne. Cet espace se veut également fonctionnel puisqu’il peut éventuellement accueillir une scène extérieure, les pyramidions servant de support technique pour des installations scéniques.
Entretien avec Stéphane Millet, Architecte DPLG – Scénographe – Ingénieur EPCM, Fondateur, Clé Millet Architectes
Comment votre équipe a-t-elle rejoint ce projet ?
Sur ce dossier, un premier appel d’offres de maîtrise d’œuvre avait été ouvert, qui n’avait pas abouti pour des raisons budgétaires. Par la suite, un second appel d’offres a été lancé selon le modèle « conception-réalisation », et nous avons constitué une équipe en collaboration avec Eiffage Construction, entreprise avec laquelle nous travaillions notamment sur le chantier de réhabilitation du palais de Chaillot, dans le 16e arrondissement de Paris.
Lors de la phase de conception du projet de Boulogne-sur-Mer, le dialogue au sein de l’équipe a permis de définir les grandes lignes du projet et de dégager un consensus en faveur d’un volume monolithique, de l’emploi du béton comme matériau principal, et d’une méthode de construction en préfabrication. D’autres aspects, comme la signalétique, l’éclairage extérieur et le traitement paysager, faisant initialement partie du marché, ont été in fine gérés par la communauté d’agglomération, tandis que l’équipement scénographique relevait d’une assistance à maîtrise d’ouvrage.
Entretien Anthony Vasseur, Directeur de travaux, Eiffage Construction Nord-Pas-de-Calais
Quelles ont été les difficultés techniques rencontrées et comment ont-elles été résolues ?
Grâce à un travail collaboratif entre tous les membres du groupement, le projet a été soigneusement préparé en phase de conception. Cette rigueur a permis d’assurer une exécution fluide du chantier, avec une vision claire et partagée des étapes décisives.
Sur le plan technique, plusieurs contraintes ont nécessité des adaptations spécifiques. Tout d’abord, comme le terrain de construction présentait un risque pyrotechnique en raison des bombardements subis durant la Seconde Guerre mondiale, des diagnostics approfondis ont été menés pour écarter tout danger.
Ensuite, le bâtiment repose au-dessus du Quai Napoléon construit en maçonnerie et en blocs rocheux massifs. Cet ouvrage historique devant être préservé, une solution technique a été mise en œuvre pour adapter les fondations de l’Embarcadère. Un système en poutre permet de franchir la structure existante large de 9 mètres sans l’endommager.
Enfin, la construction de l’édifice constituait un enjeu structurel. Les façades du bâtiment atteignant 22 mètres de hauteur, la stabilité de ces murs représentait un défi jusqu’à l’achèvement de la structure métallique de la toiture. Des solutions d’ingénierie ont été mises en place pour assurer la durabilité et la stabilité de l’ouvrage face aux intempéries durant toutes les phases de construction.
Fiche technique :
Maîtrise d’ouvrage : Communauté d’Agglomération du Boulonnais
Surface / Jauge : 6 915 m2 / 400 et 3 000 places
Missions : Marché de Conception – Construction – Exploitation
Équipe de Maîtrise d’Œuvre : Coast Architectes, Eiffage construction Nord Pas-de-Calais (Entreprise générale Mandataire)
Entreprises (liste non exhaustive) : Engie Cofely, Clé Millet, BETEM Île-de-France, JLL Ingénierie, PROJEX, Altia, Les Ateliers de l’Eclairage, Diagobat
Par Cléa Calderoni
Toutes les photos sont de : © David Coppieters
— Retrouvez l’article dans Archistorm 131 daté mars – avril 2025