Si l’aspect de l’ancienne école Télécom ParisTech depuis la rue n’a guère changé, ce que l’on trouve à l’intérieur n’a pas grand chose à voir avec l’établissement déménagé de Saclay.
La morphologie complexe de cet ensemble hétéroclite a récemment fait l’objet d’une reconversion lourde pour accueillir un nouvel institut technologique, des résidences étudiantes et des logements sociaux. Pour ajouter à la complexité, les différents lots ont été gérés par trois agences distinctes. Le projet s’attache à tirer parti de l’hétérogénéité de l’ensemble pour en faire le support et l’expression de la pluralité programmatique de ses nouvelles fonctions. Les architectes ont dû découper ce qui avait été maintenu par la cohésion de la fonction d’origine, et articuler les nouvelles missions dans ces nouvelles entités issues du découpage.
Une reconversion exemplaire
De la Bièvre, dont les nombreux bras et biefs alimentaient plusieurs tanneries, il ne reste rien, si ce n’est l’indice qu’un des bâtiments de l’ensemble aménagé devait être une maroquinerie, comme en témoignent les armoiries sur les ferronneries des ouvertures du rez-de-chaussée.
On connaît également peu de choses sur le passé récent du complexe, lorsqu’il abritait l’une des plus prestigieuses écoles dédiées aux télécommunications. L’école qui accueillait 1600 étudiants, dont une majorité d’étrangers, était installée dans un ensemble hétéroclite de bâtiments : une ancienne ganterie Neyret, un bâtiment moderniste des années 1950 (allure Art déco, Prix de Rome) et plusieurs bâtiments moins expressifs construits à différentes époques de la seconde moitié du XXe siècle.
Cet ensemble hétérogène à la morphologie complexe a récemment fait l’objet d’une reconversion lourde pour accueillir un institut, des résidences étudiantes et des logements sociaux. Les différents lots à reconvertir ont été traités par trois agences distinctes, qui ont travaillé avec le sentiment de participer à un projet global, mais sans pour autant établir un protocole de coopération et de co-conception.
La diversité typologique des composantes de l’ancienne haute école crée un environnement riche et visuellement diversifié, sans avoir recours à des gesticulations formelles et des effets décoratifs surjoués.
De plus, le choix de respecter la structure existante demande beaucoup d’inventivité et un certain sens de l’adaptation pour accueillir un programme de logements sociaux.
« Pour nous, la clé, c’est la mixité. Trop souvent, nous avons vu des quartiers s’enfermer dans des formes d’entre-soi mortifères, synonyme d’inégalités, de ressentiments et de tensions. Or conserver au sein d’un même quartier des gens différents, des fonctions différentes, qui cohabitent et se lient, est une condition d’une ville vivante. »
— David Belliard, Président, RIVP

PHILÉAS Architecture © Antoine Merc
Logements sociaux sur deux sites, de part et d’autre de la Villa Daviel, par PHILÉAS Architecture
Les logements sociaux occupent un immeuble austère de la rue Vergniaud ainsi que l’ancienne ganterie surélevée de la rue Barrault. Ces deux corps de bâtiment sont séparés par une série de maisons embourgeoisées qu’il ne fallait surtout pas déranger. C’est le point de départ d’une reconversion audacieuse qui a transformé deux bâtiments aux caractéristiques très différentes en logements sociaux et intermédiaires pour le compte de la ville de Paris.
Le bailleur social (RIVP) a dû faire preuve de persuasion et surtout donner des gages pour rassurer les habitants inquiets. Cela va des efforts pour réduire les surplombs à toute une série d’aménagements acoustiques pour diminuer l’empreinte sonore des parties communes.
Dans l’ensemble, le projet a dû porter une attention particulière à l’orientation des appartements, en s’efforçant de réduire leurs ouvertures du côté des maisons de la Villa Daviel. Globalement, le projet est qualitatif et réussit à transformer des bâtiments destinés à l’enseignement en lieux d’habitation. C’est probablement l’aspect le plus intéressant du travail de PHILÉAS Architecture sur ce projet. En effet, lorsque l’on intègre des loge-ments sociaux dans les dimensions atypiques d’une école, il faut parfois faire des choix. Dans ce cas précis, il s’agissait de choisir entre le maintien d’une double hauteur, au détriment du rendement, devenue possible par la possibilité d’y insérer deux niveaux. Force est de constater que les concepteurs du projet ont effectué les bons choix en optant tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre. Ainsi, la double hauteur de l’ancienne ganterie est parfaitement exploitée dans ces appartements qui bénéficient de toute la hauteur côté rue, avec la création d’une mezzanine à l’arrière du logement.
La disposition a été aussi astucieuse lorsqu’il s’est agi d’insérer deux niveaux d’appartements dans la double hauteur de l’ancien volume indus-
triel. Les grandes fenêtres cintrées créent des ouvertures atypiques et surdimensionnées.
Plus important encore, il n’y a pas deux appartements identiques dans cet ensemble de logements. La variété typologique ajoutée à la diversité programmatique signifie que chaque unité d’habitation est différente, avec des variations dans l’orientation, la disposition et l’agencement des pièces. Cette conception sur mesure crée finalement un ensemble qualitatif dont l’attrait principal réside dans la capacité d’adaptation des unités qui le composent. Double hauteur et ouvertures atypiques pour le rez-de-chaussée, abondance d’espaces extérieurs pour l’ancienne surélévation qui a été rénovée. Au-dessus des ateliers, l’opération a consisté à remplacer deux plateaux industriels par trois plateaux de logements. Les ouvertures archées scindées par l’insertion des deux niveaux génèrent des intérieurs très différents.
« Le type de restructuration à entreprendre implique de nombreux travaux structurels, allant de travaux d’injection des carrières avec la proximité de pavillons et du lit de la Bièvre, à des surélévations et à la restructuration de certains planchers, notamment dans l’ancienne ganterie Neyret. »
— Colas Lévêque, Responsable Développement Commercial, GTM Bâtiment

ITAR Architectures © 11h45
La cité étudiante par ITAR
Construit en 1960, le bâtiment D est typique de l’architecture fonctionnaliste de la seconde moitié du XXe siècle, avec sa structure répétitive, ses murs porteurs et sa compacité. La résidence étudiante, située au-dessus d’un bureau de poste, offrait 300 logements mal isolés à autant d’étudiants qui pouvaient déjà s’estimer heureux de disposer d’un espace de vie individuel dans Paris intramuros. Les travaux d’ITAR ont consisté à augmenter la capacité de logements de la résidence tout en améliorant ses performances énergétiques et son apparence quelque peu écaillée, en la remettant aux standards du jour pour qu’elle dure encore 60 ans. L’intensification s’est faite en premier lieu par le réaménagement de l’escalier monumental en surface habitable. En deuxième lieu, des balcons projetés ont été ajoutés sur les deux pignons aveugles du bâtiment, de part et d’autre du linéaire de 80 mètres de la façade sur la rue de Tolbiac. En troisième et dernier lieu, la cinquième façade autrefois technique est optimisée.
Les planchers des extensions en angle sont en béton tandis que leur façade est à ossature bois, isolée par l’extérieur et revêtue d’aluminium anodisé. En étant clos, ils transforment les cellules des extrémités en typologies pour colocation. Leurs pointes en quinconce fournissent même des espaces extérieurs double hauteur à leurs résidents. Les oriels des deux longues façades sur la rue de Tolbiac et sur la cour sont aussi habillés d’aluminium anodisé. Cette qualité partagée par toutes les modifications substantielles et visibles du bâtiment affirme son évolution et rompt par un jeu d’ombres et de reflets avec l’écrasante linéarité.
Derrière cette apparente planéité se cache une trame originelle subtile en façade que reprennent les quatorze oriels : balcons, baies toute hauteur, fenêtres simples ou doubles et organisation en travées tantôt simples, tantôt doubles. Ces bow-windows sont greffés sur la façade, ce que permet leur structure bois légère, et accentuent l’effet d’alternance. L’expression générale est complétée d’un travail de serrurerie et de garde-corps pour partie encapsulés. Les variations de lames de céramique parachèvent la vibrance. Peu visibles depuis la rue mais beaucoup plus depuis la cour de l’îlot, les extensions partielles en toiture reprennent ce même principe de structure bois et bardage aluminium. Elles sont implantées en retrait de la limite nord du bâtiment et s’adossent aux circulations existantes.
L’ensemble des espaces partagés et dédiés à la vie communautaire se situent sous le rez-de-chaussée. On y trouve une grande laverie et, surtout, plusieurs espaces de vie spacieux. Ils disposent de lumière naturelle sur tout leur linéaire côté jardin grâce à de grandes baies vitrées qui donnent sur des courettes : les cours anglaises qui permettent également de faire le tour, de passer par l’extérieur pour rejoindre la salle commune ou la laverie. Dans les longues circulations horizontales et fonctionnelles, programme oblige, les parois mettent à nu le béton brut d’antan en ménageant des cadres qui laissent voir sa rugosité. Les plafonds techniques ont par ailleurs été proscrits pour laisser visibles les poutres qui scindent le couloir de part et d’autre : une manière d’éviter tout recours trop ornemental en animant la distance à parcourir. La cage d’escalier centrale ajoutée est en façade, et amène jusque dans les couloirs de la lumière naturelle.
Si la réhabilitation du patrimoine de la seconde moitié du XXe siècle a ses évidentes vertus, elle peut également contraindre, notamment dans l’adaptation aux standards de notre époque. Le plan initial disposait de salles de bain communes, reliquats ou avant-gardes de nos « espaces partagés » qui fleurissent dans les résidences. Ces dernières ont été remplacées par des loge-ments, et chacun des 344 appartements ou chambres dispose maintenant de sa salle de bain privative. Pour trouver la cuisine collective et les espaces conviviaux, il faut désormais descendre de quelques étages, un compromis partagé des maîtrises d’œuvre et d’ouvrage, qui a par ailleurs permis de décupler la surface moyenne d’espace commun par chambre. La situation immobilière tendue de Paris et les difficultés à générer de nouveaux logements dans un contexte de saturation foncière justifient cette décision et la volonté d’intensifier « dans les murs » d’un 13e arrondissement très dense. L’avantage de cette situation, des communs en pied de bâtiment, est aussi leur masse critique : d’un seul tenant et visible de tous. Leur surface et leur aménagement en alcôves laissent la place autant à des rassemblements d’ampleur qu’à des petits comités, il ne s’agit dès lors que d’une question de choix.

Savoir-Fair architecture © Vladimir Partalo
Le centre de Inria de Paris par Savoir-Fair architecture
La partie consacrée à Inria est constituée de trois bâtiments réalisés à des époques différentes. L’empreinte stylistique la plus visible des trois bâtiments est celle du bâtiment moderniste du front de la rue Barrault. Il s’agit d’un ouvrage caractéristique du modernisme expressif des années 1950, avec un déploiement en bandeau et une inflexion de la paroi qui exacerbe l’angle de la rue à cet endroit.
La RIVP étant le bailleur, elle loue au Centre Inria de Paris les locaux qui ont été conçus pour elle. Le nouveau site comporte des espaces expérimentaux et de développement, une composante essentielle de l’institut. Il répond également à l’activité des équipes de recherche et des services administratifs (bureaux), ainsi qu’à l’activité de diffusion (amphithéâtre, espaces de réunion). La reconversion a permis de conserver la configuration du hall et de l’amphithéâtre principal historique du site, mais en transformant radicalement l’aménagement intérieur des plateaux composés de salles de classe, qu’elle a reconfigurées en bureaux. L’ensemble se compose aussi d’un bâtiment mur-rideau entièrement vitré, réalisé dans les années 1990, à la jonction de l’immeuble des années 1950 et de la résidence étudiante.
La juxtaposition des deux immeubles et la différence stylistique qu’ils présentent sont caractéristiques de l’éclectisme qui caractérise l’ensemble, ainsi que de la complexité de la tâche de constituer un ensemble cohérent.
L’agence Savoir-Fair, spécialisée dans la réhabilitation, a été désignée lauréate en 2017.
Les deux autres tranches du chantier, ayant été attribuées plus tard à ITAR et et à PHILÉAS Architecture, cela a permis aux architectes de
Savoir-Fair de disposer d’une certaine marge de manœuvre pour effectuer une évaluation détaillée de l’état existant qui a pris la forme d’un diagnostic détaillé pour estimer ce qui pouvait être conservé et ce qui devait être reconstruit. Ce fin travail d’ajustement est visible dans l’amphithéâtre, où des bancs anciens d’une belle facture ont été conservés et adaptés pour inté-
grer la connectique aujourd’hui jugée indispensable. Ailleurs, le choix a été fait de reconstruire de manière contemporaine, mais avec des solutions qui évoquent le style des années 1950. C’est le cas du parquet en tasseaux verticaux, ou des menuiseries de façade alignées en bandeau. La rénovation conserve le principe de larges allèges sous les ouvertures en bandeau, en prenant soin de les redimensionner pour en optimiser l’usage.
Le bâtiment ayant subi plusieurs transformations, la rénovation a réussi, à certains égards, à lui conférer un esprit d’ensemble qu’il n’a jamais eu. Le hall d’entrée traversant, offrant un dégagement sur le cœur de l’îlot, elle est indéniablement l’un des atouts qualitatifs de cette reconversion. Le principe du cas par cas n’obéit pas tant à des critères esthétiques qu’à des critères de durabilité et de coût. C’est ainsi que le mur-rideau d’une section ajoutée dans les années 1990 a été conservé dans son état d’origine, sa durée de vie et le principe de préserver tout ce qui pouvait l’être ayant prévalu sur son apparence datée et sa faible performance énergétique.
Toujours dans l’esprit de rester au plus près de l’existant, les mètres carrés des deux escaliers de secours menant à la cour de la résidence étudiante ont été utilisés pour construire six salles de réunion sur deux colonnes et trois niveaux.
Si la construction de deux nouvelles formes de la même taille que les cages d’escalier peut sembler une dépense de ressources par rapport aux mètres carrés obtenus, le caractère atypique de ces six salles entièrement vitrées les rend uniques et, en fin de compte, contribue au cachet global du projet.
Esprit d’ensemble et distinction des programmes
Le projet est caractéristique d’une approche éclectique appliquée à une configuration complexe. Si le principe d’un entrepreneur unique ainsi que celui d’un permis de construire ont été posés dès le départ pour garantir une meilleure cohérence au niveau de la maîtrise d’ouvrage, les trois projets injectent trois programmes distincts dans un ensemble qui, malgré son caractère hétéroclite, affichait une cohérence fonctionnelle articulée autour de l’enseignement supérieur.
Le projet dans sa globalité s’est donc efforcé de tirer parti de la nature variée de l’ensemble pour en faire le support et l’expression de la plura-
lité programmatique des nouvelles fonctions qui y trouvent leur place. Les architectes ont dû découper ce qui avait été maintenu ensemble par la cohé-
sion de la fonction d’origine et articuler les nouvelles missions dans ces nouvelles entités découlant du découpage.
En agissant ainsi, le projet parvient à retrouver de la cohérence, ne serait-
ce que du fait de la simultanéité des reconversions et de l’utilisation optimale de l’existant. Malgré les différences programmatiques, les trois projets ont en commun la même volonté d’optimiser le foncier parisien, non pas dans une visée spéculative, mais plutôt dans une perspective pédagogique et sociale. Chacun d’entre eux exploite ainsi au maximum son potentiel.
Maîtrise d’ouvrage : RIVP
Assistant au maître d’ouvrage : AJR Conseils
Entreprise générale : GTM Bâtiment
Architectes : ITAR Architectures, PHILÉAS Architecture et Savoir-Fair architecture
Partenaires et BET : Archetype BECT, Deltatec, CET Ingénierie Thermique, PLAN02, TERRELL, EPPY, AE75
Programme : Restructuration d’une résidence pour étudiants de 344 logements
Surface : 9 200 m2
Budget : 17,7 M€ HT
Programme : Réhabilitation et transformation de deux immeubles d’enseignement en 25 logements familiaux intermédiaires, 95 logements sociaux (dont 10 ateliers d’artistes) et espaces verts en toiture
Surfaces : Bâtiment A : 1 984 m2, 1 584 m2, Bâtiment C : 7 956 m2, 6 518 m2
Budget : 26,3 M€ HT
Programme : Réhabilitation et requalification d’équipements tertiaires pour accueillir Inria
Surface : 11 300 m2
Budget : 36,5 M€
Par Christophe Catsaros
Visuel à la une : PHILÉAS Architecture © Antoine Mercusot
— Retrouvez l’article dans Archistorm 131 daté mars – avril 2025