L’entrée en matière(s) : les rideaux en lanières de cuir et denim d’Aska Yamashita (directrice artistique d’Atelier Montex, une maison de broderie résidente du 19M), en collaboration avec le Fab Lab sénégalais Kër Thiossane, matérialisent la collision créative de plusieurs continents et arts, entre confection main, upcycling, découpe laser… Juste derrière trône un baobab en tissu bleu. « Arbre de vie, cœur de savoir, centre de convivialité et emblème du Sénégal », il se fait la vigie des lieux. Comme lui, « Sur le fil : de Dakar à Paris » est placée sous le signe du lien, opérant un dialogue qui coud ensemble artisanat (avec la broderie et le tissage) et art contemporain, du Sénégal au reste du monde, dans un grand patchwork d’œuvres vivant.

L’historique est intéressant. L’exposition a été présentée au musée Théodore-Monod de Dakar en marge d’un défilé Chanel avant de débarquer au 19M. Ainsi, tout a commencé à Dakar, façon de dire qu’elle inspire la capitale de la mode avant l’inverse. Au Sénégal, chaque fête est l’occasion d’aller chez le tailleur. « Sur le fil » donne à voir sa richesse en matière de création textile et révèle à quel point ce patrimoine a de la valeur et continue d’innover.

Sont présentés une trentaine d’artistes du Sénégal, du Mali, d’Afrique du Sud et de France. Des photographes, peintres, designers, artisans… qui chacun à leur façon travaillent le textile. Laine, raphia, coton, wax, toile de moustiquaire, pagne tissé… Tous les matériaux sont mis sur la même échelle de valeurs, de l’Oiseau semeur (Fatim Soumaré, 2022) en graines de coton, qui a exigé mille sept cents heures de travail manuel, aux chutes de cuir, excédents industriels européens récupérés, qui composent les installations de Cécile Ndiaye.

Pauline Guerrier

Sous nos yeux se dessine une cartographie des savoir-faire. Des toiles illuminent le talent des brodeuses du village de Ngaye Méckhé (où exceptionnellement la broderie n’est pas l’affaire des hommes). Arébénor Bassène remet la teinture batik au goût du jour quand Marie-Madeleine Diouf nous plonge dans les profondeurs de l’indigo, pigments extraits des baies d’un arbre. On lui préfère aujourd’hui des techniques plus rapides.

Le tissu se révèle un passeur d’histoires, narrant croyances, traditions, modes de vie, cosmologies… Il est aussi un support de gestes, d’interactions humaines, comme en témoignent les « textiles-performances » exposés, certains réalisés en ateliers participatifs. Créer des ponts, mettre en réseau, se faire catalyseur d’inspirations, circulation de savoirs. C’est cette dimension que l’exposition espère d’ailleurs déployer en activant des collaborations interculturelles inédites. Emblème de ces désirs d’hybridité, l’œuvre onirique et futuriste de Kenia Almaraz Murillo, Bolivienne vivant à Paris, imprégnée de sa première rencontre avec Dakar. La jeune artiste utilise des lumières récupérées dans des casses automobiles pour réveiller des tableaux en tissage traditionnel bolivien. Ainsi, ses pièces qui recréent des créatures aperçues en songe abolissent toutes limites (entre réel/rêve, noble/brut, Occident/Orient…) dans des formes vivantes et mutantes.

 

Texte : Manon Schaefle
Visuel à la une : © Barada Preira

— retrouvez l’article sur Patchwork vivant dans Archistorm 121 daté juillet – août 2023 !