L’architecte-designer italien Michele de Lucchi et son studio multidisciplinaire AMDL CIRCLE (dit Circle) montent leur vision et l’anticipation du futur au sein de Futuro Gentile, la magnifique exposition au CID Grand-Hornu en Belgique. À travers une approche du design et de l’architecture, ils invitent gentiment à se reconnecter à la nature. Une urgence et une évidence humaniste qu’il est essentiel de réactiver.

La première fois que j’ai eu le plaisir d’interviewer Michele de Lucchi, il me recevait au sein de son studio Via Varese à Milan il y a un peu plus de dix ans. « Vous avez vu comme c’est beau, puissant ? Vous vous rendez compte que ce bois a des milliers d’années ? » ont été les premiers mots de Lucchi en train de caresser amoureusement l’immense table en bois séculaire sur laquelle il me recevait. Je la caressais à mon tour et ressentais la puissance du bois, de l’arbre, et l’histoire de la civilisation instillée dans les veines de ce bois si précieux. Rien que cela en disait très long sur la vision de ce bon homme barbu aux yeux pétillants sous ses lunettes rondes. Michele de Lucchi est un amoureux de la nature. Un bûcheron même. « La façon de traiter le changement climatique est un peu anxiogène dans les médias, et dans tout ce qui ressort, dans des films comme Demain ou dans les ouvrages comme ceux de Pablo Servigne… On voit bien que la jeune génération commence à angoisser réellement, non sans raison. Mais il y a des façons beaucoup plus positives de parler du sujet. Et c’est la façon de Lucchi », explique Marie Pok, la directrice du CID Grand-Hornu. « On a beaucoup de dystopie et pas d’idéalisme positif. Il faut chercher quelque chose qui fasse envie. Les recherches qui ne viennent pas par la demande du marché sont les choses les plus riches. Notre travail d’architecte est d’être le plus idéaliste possible pour se projeter plus encore dans le futur. La liberté ouvre sur l’utopie qui donne à réfléchir », expliquait le maestro à l’antenne de la RTBF. Ainsi, pour cette exposition, AMDL CIRCLE éclaire l’approche « humaniste » des projets de Michele de Lucchi, centrée sur la constante évolution des besoins de l’être humain. Et ce, au sein de deux espaces. Dans le Magasin aux foins, on est d’abord happé par la musique ambiante qui enveloppe parfaitement les œuvres iconiques de Michele de Lucchi. L’architecte a fait appel à son ami Emiliano Toso, qui est biologiste et musicien et qui a développé un travail un travail de résonance du son sur les cellulmes. En effet, il a remarqué que certaines ondes ont encore plus de puissance et de pouvoir sur les cellules et permettent plus rapidement la réparation en cas de maladie (y compris grave). Le regardant est ainsi transporté dans un espace-temps suspendu qui fait entrer en résonance l’ensemble des œuvres de Michele de Lucchi. Ici Lucchi, qui poursuit l’objectif de « cultiver l’expérimentation et d’encourager l’artisanat », montre des meubles, accessoires d’ameublement et lampes nés d’un désir créatif libre, qui ne suit pas les règles du marché́ : c’est le résultat d’une recherche sur la capacité de l’artisanat à générer des objets de design qui valorisent l’essence des matériaux à travers des formes inattendues. Les sons permettent de rentrer encore plus en vibration avec une dimension transcendée de la nature. « L’artisanat peut servir à ensemencer le futur, pas seulement à regarder le passé », déclarait l’architecte dans Le Monde (2018 déjà). Depuis 2018, les recherches d’AMDL CIRCLE et de Michele de Lucchi se concentrent sur le projet Earth Stations, des bâtiments visionnaires conçus pour favoriser le bien-être de l’homme et la santé de la planète. À l’intérieur des Écuries, les Earth Stations dialoguent avec une sélection de projets réalisés dans une narration dynamique où vidéos et maquettes génèrent une synesthésie et révèlent les prérequis de la pratique architecturale du CIRCLE. Les toutes dernières recherches du studio portent depuis 2022 sur l’architecture « naturalisante ». Les Satellite Stations sont de petits lieux de réflexion, des serres, des loges et des pavillons en bois qui peuvent redevenir de l’humus avec le temps. La recherche explore la relation entre l’environnement bâti et le monde naturel, et souligne l’importance de créer des architectures « fertiles » qui peuvent nourrir le sol. Les objets de design expérimental de Produzione Privata, exposés dans le Magasin aux foins, comme les architectures visionnaires des Earth Stations, dans les Écuries, sont autant de scénarios dans lesquels évoluent l’homme contemporain et celui du futur, en quête de sens, de nouvelles idées et d’une meilleure compréhension de ses ambitions, dans le respect nécessaire de la planète et des autres êtres, humains ou non.

© Caroline Dethier

La thèse de Michele de Lucchi soutenue à la faculté́ d’architecture de Florence en 1975 traitait déjà de l’ensemble des sujets omniprésents encore aujourd’hui dans les créations de Lucchi. Des « maisons de Tarzan » formées par des volumes superposés, instables et décalés, qui zigzaguent, convergent ou s’enfoncent directement dans le sol. À l’occasion de cette exposition, cinq maquettes et une sélection de dessins originaux sont exceptionnellement exposés et racontent l’histoire de ces Abitazioni Verticali (Habitations Verticales). « Je voulais emmener au paradoxe […] déclencher une réaction. Si l’on est stimulé à réagir et éviter le danger, même dans la vie normale, il faut être conscient de la réalité́ qui nous entoure afin d’être proactif et de vivre chaque instant avec intensité.́ » « À l’occasion de l’exposition, Michele est venu avec sa femme Sibylle, qui m’expliquait que c’est un homme qui pense avec ses mains. Il a toujours un tas d’idées, c’est un théoricien, un professeur, un enseignant, mais avant tout, c’est dans sa tête, et après, c’est tout de suite dans le faire. Il dessine beaucoup, il a son petit carnet de croquis, et son futur à lui, c’est la puissance de l’imagination. Il faut d’abord rêver de ce futur et ça va nous donner les grandes lignes. Cela peut sembler un peu naïf, mais en même temps, il faut qu’on puisse encore rêver. Il plante des graines », précise la directrice du CID Grand-Hornu, Marie Pok. La continuité narrative de l’approche conceptuelle de Michele de Lucchi et de son Circle proposé au sein de l’exposition se résume très facilement : hier comme aujourd’hui, « imaginer des architectures et des objets n’est pas une activité passive, mais implique une attitude active face à une réalité́ en constante transformation afin de stimuler la réaction de l’être humain vis-à-vis de l’évolution ». Le futur se doit donc d’être pensé activement dans tous les domaines. La notion d’humus traitée au sein de l’exposition est en cela essentielle, car elle nous allège de l’ego et nous rappelle que nous ne sommes in fine qu’un terreau nourricier.

 

Texte : Yves Mirande
Visuel à la une : © Caroline Dethier

— retrouvez l’article Gentile dans Archistorm 121 daté juillet – août 2023 !