Matériau ancestral dans l’histoire de l’architecture, la terre a décliné avec l’urbanisation et les matériaux industrialisés. Pourtant, tel un phénix, l’architecture de terre renaît aujourd’hui, affirmant sa place sur la scène architecturale du XXIe siècle. En France, cette renaissance se manifeste par l’installation de centres de recherche prolifiques et des constructions emblématiques. La terre, humble et noble, réaffirme son rôle dans la quête d’un habitat durable et respectueux de l’environnement.
À notre époque de crise écologique, un regain d’intérêt pour les traditions architecturales anciennes et les matériaux terrestres se fait sentir avec une vigueur inédite. De multiples concepteurs, issus d’horizons géographiques et culturels divers explorent les méandres de l’éco-construction vernaculaire. Ces pratiques révèlent toute leur richesse, notamment grâce à la collaboration d’artisans éclairés, capables de réinventer leurs compétences ancestrales pour les adapter aux défis contemporains. L’architecture du passé, en se modernisant, propose des stratégies de construction innovantes qui inspirent de nouvelles avancées techniques. Dans ce contexte, les matériaux à base de terre connaissent une résurgence mondiale, portés par l’espoir d’un avenir écologiquement résilient et plus concrètement par des institutions à même de faire voyager les savoirs.
La France, Gardienne des Techniques d’Architecture en Terre
En France, terre de traditions et d’innovations, l’architecture en terre trouve un refuge précieux. Seuls quelques pays peuvent se vanter de préserver des techniques aussi emblématiques que le torchis, les briques de terre crue (BTC ou Adobe) et la terre battue (pisé). Depuis 1979, le groupe de recherche CRAterre, véritable pionnier, s’emploie à ressusciter et à perfectionner ces savoir-faire ancestraux. Ils ont su repousser les frontières de l’architecture vernaculaire, non seulement en France mais aussi à travers le monde. Sous leur houlette, des méthodes novatrices ont vu le jour : béton de terre coulée, mélanges de terre crue et de fibres végétales, préfabriqués en pisé et même constructions en terre imprimées en 3D. Des prototypes grandeur nature de logements sociaux ont été érigés, certains d’entre eux étant déjà habités. Cette quête de renouveau ne se limite pas à la technique brute. Chaque projet est une symphonie de macro et micro-territoires, où les matériaux locaux et les besoins culturels des populations résidentes s’entrelacent harmonieusement. Associations telles que AS Terre et LESA, fondées respectivement en 2006 et 2007, jouent un rôle crucial dans cette renaissance, œuvrant à l’épanouissement et à la pérennité de ce matériau noble.
La Terre, Gardienne de la Tradition et de l’Innovation
La terre a prouvé son efficacité lors de la construction du chai du Château de Cantenac Brown dans le Bordelais en 2024. Le défi était de taille : intégrer le chai au sein des bâtiments existants, préservant ainsi l’authenticité du site tout en adoptant une démarche écologique, en travaillant avec le « déjà là ». Le chantier devait avancer rapidement pour ne pas perturber la production de ce grand cru, exigeant une température constante de 15°C tout au long de l’année. Philippe Madec, pionnier de l’architecture écologique et de la « frugalité heureuse », proposa alors de réaliser les parois extérieures du nouveau chai en un épais mur de terre crue. Dès les premières esquisses, le BET Amàco, un des plus importants ateliers français spécialisés en terre crue, rejoignit l’équipe de maîtrise d’œuvre. Cette collaboration précieuse garantissait la conformité de l’ouvrage aux réglementations strictes. Des piseurs renommés de toute la France se sont mobilisés pour épauler l’entreprise Murari de Fronton, chargée de la réalisation. Le mur, fruit d’un savant mélange de terres locales d’Avesan, à 8 km du château, et de Montpon, à 90 km, a bénéficié des savoir-faire les plus pointus. L’investissement financier et intellectuel aboutit à l’érection d’une paroi spectaculaire, presque sculpturale, aux teintes ocres et agrémentée de trois lignes bordeaux, couleur emblématique de Cantenac Brown. Cette œuvre incarne l’esprit du Château, renouant avec la tradition de vinification gravitaire. Ce chantier innovant a enrichi le domaine de la construction en terre d’un riche fond documentaire, ouvrant la voie à de grandes avancées techniques. À noter également, l’efficacité thermique et plastique de ce matériau a été elle-aussi prouvée avec la cave viticole du Domaine du Trevallon à Saint-Etienne-du-Grès (2013), réalisée en pisé par les architectes Hugues et Jean Bosc de Saint-Rémy de Provence.
Visionnaire de la Terre Crue
Ces innovations, prêtes à être adoptées par d’autres architectes, évoquent tout naturellement le parcours inspirant de l’artiste céramiste autrichien Martin Rauch. Reconnu internationalement pour sa maîtrise de la construction en terre, Rauch incarne une frugalité, cette fois qualifiée de « créative », alliant art et architecture. Son parcours atypique l’a mené à élever son savoir-faire artistique au rang de l’architecture contemporaine. En 1999, il fonde son agence Lehm Ton Erde et en 2008, il réalise sa propre maison en pisé, en collaboration avec l’architecte Roger Boltshauser, dans sa ville natale de Schlins. Cette demeure, véritable démonstrateur, puise la terre directement de l’excavation de la parcelle, donnant vie à un bâtiment monolithique ancré dans la pente du terrain. Les murs porteurs en terre damée, sans aucun adjuvant, sont renforcés par de fines bandes horizontales de briques de terre cuite, protégeant la façade des intempéries. Une isolation intérieure en panneaux de roseaux et un enduit à l’argile avec chauffage mural intégré assurent à Martin Rauch et à sa famille un climat domestique sain et agréable. Avec une expertise de 35 ans, Martin Rauch est une figure majeure de la construction en terre. Depuis 2010, il est membre honoraire de la chaire UNESCO « Architectures de terre, cultures constructives et développement durable », contribuant ainsi à l’avancement de cette pratique.
Nobels de l’architecture
La voie de l’architecture en terre avait été magistralement réouverte par l’Égyptien Hassan Fathy (1900-1989), lauréat du prix Nobel alternatif en 1980. Fathy, avec ses bâtiments remarquables tels que l’ensemble de Dar al-Islam au Nouveau-Mexique et le village de Gourna à Louxor, avait développé des techniques de construction coopératives et s’était tourné vers la terre pour sa polyvalence et ses performances thermiques incomparables. La terre, facilement disponible et abordable, s’est révélée être une solution idéale pour améliorer les conditions de vie des ruraux pauvres d’Égypte. Pendant ses cinq décennies de carrière, Fathy a influencé un large éventail de structures dans les pays du Sud, inspirant de nombreux architectes indiens à adapter ses exemples d’architecture de terre localisée à des contextes modernes. Ses principes ont voyagé à travers l’Afrique, le Moyen-Orient et jusqu’au Nouveau-Mexique. Parmi ses héritiers spirituels, l’œuvre du Burkinabé Francis Kéré se distingue. Kéré a réintroduit les constructions en terre, principalement dans son Burkina Faso natal. Ses écoles et logements, d’une plasticité extraordinaire, offrent une alternative vibrante aux modèles occidentaux inadaptés aux pays chauds. Largement reconnu, le travail de Francis Kéré a été couronné en 2022 par le prestigieux prix Pritzker, l’équivalent architectural du prix Nobel.
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Visuel à la une : La Casa Franca (2023), maison individuelle en structure bois et terre crue, Paris 18, dessinée par Déchelette Architecture ©Salem Mostefaoui
Texte : Sophier Trelcat
— Retrouvez l’intégralité de l’article dans archistorm 128 daté septembre – octobre 2024