Les maux du logement, ses problématiques écologiques, les défis posés par une densité urbaine effrénée et par l’urgence climatique mettent en avant l’urgence de reconsidérer la question du logement. En parcourant de récentes opérations offrant un habitat de qualité, on peut repérer des modèles inventant des procédures inédites capables de vitaliser des emprises foncières dans des environnements denses, souvent complexes, tout en en optimisant le coût. Un point désormais crucial pour la conception et la forme du logement à la mesure d’un XXIe siècle urbain, trop urbain ?

Habiter ne se réduit plus simplement à se loger. Alors que l’urbanisation effrénée et l’urgence climatique bouleversent nos modes de vie, la réflexion autour du logement dépasse la simple nécessité de trouver un abri. Il devient impératif de réinventer nos espaces, de repenser la façon dont nous investissons la ville. C’est là toute l’essence de « La Métropolitaine », un projet ambitieux niché au cœur de la ZAC Clichy-Batignolles, dans le 17e arrondissement de Paris. Ce programme architectural s’attaque avec audace aux défis de densification face au changement climatique

– dans un avenir proche, la ville pourrait connaître des vagues de chaleur flirtant avec les 50 °C   tout en maintenant une exigence rigoureuse de qualité architecturale et d’habitabilité. Livrée en 2024, « La Métropolitaine », signée des agences Ignacio Prego Architectures et Thibaud Babled Architectes Urbanistes, rassemble 46 logements intermédiaires, 32 logements sociaux, une résidence étudiante de 150 studios, un centre d’héber-
gement d’urgence avec 40 chambres, une maison de santé de 450 m², et trois commerces en rez-de-chaussée. Imposante, la bâtisse se fond avec finesse dans son environnement grâce à des failles longilignes, des porches baignés de lumière, des parois plissées et des découpes audacieuses qui allègent son volume. Avec son épaisseur maîtrisée, le projet fait écho à la logique des îlots parisiens, distinguant une façade avant et une façade arrière. L’aspect public, côté rue, est vivant : de grands volets métalliques repliables protègent les loggias, leurs vitres mobiles soigneusement closes, lorsque nécessaire, par des rideaux extérieurs. À l’arrière, avec pour toile de fond le parc du lycée Honoré de Balzac, la façade se veut plus apaisée, tout en se dérobant à la monotonie par des méandres subtils, une trame de béton irrégulière, et une végétation grimpante qui escalade sa hauteur. Ce double traitement de la façade crée une épaisseur habitée, un vide habitable qui abrite de confortables terrasses.

Ces façades, loin de n’exister que pour leurs seules qualités, plastiques jouent un rôle actif : elles offrent des scénarios d’occupation qui varient au fil des saisons, d’autant plus remarquables que l’intégralité des logements sociaux et intermédiaires sont traversants. Le confort thermique repose sur la manipulation des panneaux et baies vitrées s’ouvrant ou se fermant selon les besoins, chaque résident devenant acteur de son propre confort. Chaque logement, minutieusement dessiné, permet aux habitants de s’approprier leur espace grâce à un système de distribution ingénieux. Les appartements, accessibles par des terrasses extérieures, bénéficient de la multiplicité des cages d’escaliers et ascenseurs, ne desservant que deux logements par palier. Les chambres du centre d’hébergement et les studios étudiants bénéficient de tout autant d’attention avec, par exemple, dans ces derniers, des détails de mobilier et de mise en œuvre des matériaux qui renvoient davantage à l’univers des hôtels design qu’à celui de l’habitat bon marché envisagé comme un produit. À l’heure où les étudiants connaissent parfois des situations de précarité, ils sauront apprécier l’investissement du trio d’architectes.

Détail de la façade sur l’avenue de la Porte de Clichy de la Métropolitaine © Laure Vasconi

Un travail sur la typologie haussmannienne

Célébrant également la densité de la ville, les 104 logements sociaux des « Ateliers Vaugirard » de l’agence bâloise Christ & Gantenbein, associée pour l’occasion à l’atelier Margot Duclot, dans le 15e arrondissement parisien, s’appuient sur une recherche approfondie concernant les typologies de l’habitat parisien menée de longue date par le duo suisse. La construction rendant accessible un cœur d’îlot grâce à la création d’une nouvelle rue s’inscrit dans la continuité historique des bâtiments voisins haussmanniens : des redents successifs creusent le volume, et les retraits en partie haute apportent tous deux une rythmique bienvenue à cette barre radicale. En référence à la matérialité des toitures parisiennes, le volume est uniformément recouvert d’acier brossé. L’aspect puissant, sec et rigoureux, est encore renforcé par la stricte répétition de fenêtres identiques, à doubles battants et toute hauteur, telles que rencontrées habituellement dans le contexte parisien.

L’architecte Emanuel Christ assume totalement ces choix architecturaux et n’hésite pas à évoquer, non sans humour, une « architecture ennuyeuse mais pétrie d’originalité et de richesse », et à renchérir sur la « tâche noble qui incombe aux architectes d’apporter de la dignité à l’habitat social et de la générosité malgré des superficies limitées ».

Ainsi les architectes proposent-ils une réinterprétation contemporaine de l’habitation bourgeoise avec ses enfilades de pièces, ses doubles portes, ses vues diagonales. Bien qu’inscrits dans le cadre standard du secteur social, les plans mettent en place des qualités spatiales inhabituelles : les creux dans le volume génèrent l’apport de lumière, des vues transversales, et dotent chaque entité d’un espace extérieur sous forme de balcon ou de loggia. Cette dernière, non chauffée et, de fait, non comptabilisée dans la superficie habitable, régule la température et est appropriable de multiples manières au fil des saisons. À l’intérieur, les prestations sont très simples – murs blancs et sols gris – mais elles sont impeccablement réalisées. La négociation de quelques éléments supplémentaires change radicalement la donne, telles des armoires intégrées et des portes doubles vitrées à l’intérieur des logements. La sensation d’ampleur spatiale qui en découle et la diffusion de la lumière naturelle augmentent ainsi l’habitabilité. Cette question fut majeure tout au long de la conception du projet, le fait est assez rare pour mériter d’être souligné, tant le logement est trop souvent réduit à un seul travail de façade.

Favoriser le lien social

Édifié à quelques encablures de Vaugirard, sur la dalle de l’avenue de France, l’immeuble Nudge est une expérimentation hors du commun : littéralement traduit par « coup de pouce », « Nudge », provient des sciences comportementales. Il soutient l’idée que des suggestions indirectes peuvent influencer des comportements de manière libre et non contraignante. Dans le 13e arrondissement, Vincent Parreira et Catherine Dormoy ont appliqué  ce concept à l’architecture, avec l’ambition de favoriser des usages nouveaux tout en renforçant le lien social au sein d’un projet dense de 133 logements. Écologique, la construction quasi entièrement en bois propose des logements qui s’adaptent aux habitants et non l’inverse. Dans cet objectif, le plan est organisé selon une trame de 4,20 m intégrant une bande servante permettant de céder ou d’acquérir facilement une pièce supplémentaire selon la configuration du foyer. Désireux d’approfondir la qualité de l’habitat au-delà de son seul aspect environnemental, les architectes ont conçu un cœur d’îlot particulièrement vivant et d’une expressivité formelle très riche, avec un enchevêtrement de coursives et d’escaliers desservant et prolongeant les habitations. Le long de ces déambulations extérieures se développe un jardin vertical, tandis que de petits édifices aménagés au fil des parcours permettent de pratiquer diverses activités telles que le sport, la lecture, la cuisine, le jardinage… voire d’organiser des séances de cinéma en plein air sur l’une des terrasses. Tous les appartements sont traversants et disposent, en plus des espaces partagés, de loggias sur la rue ainsi que d’un espace extérieur semi-privé commun à deux logements, en prolongation des coursives. Dans les appartements, les architectes sont parvenus à jouer de la réglementation pour mettre en œuvre de grandes baies vitrées, toute hauteur, dont la partie supérieure dispose d’un ouvrant sur les coursives extérieures. À proximité de chaque entrée, les façades accueillent des éléments de mobilier dessinés par l’Atelier « Écouter pour voir » : une tablette, une patère et un tableau noir, personnalisant les lieux selon l’appropriation des habitants. À l’intérieur des logements, de petits équipements tels qu’un système lumineux incitent à réduire la consommation d’eau, tandis qu’une signalétique rappelle de trier les déchets. On ne peut que saluer ici l’innovation architecturale, peu courante dans ce type d’opération privée. Libre à chacun de s’épanouir dans le collectif ou non, il reste néanmoins pour les habitants l’offre de grande qualité d’habitat dans la ville dense.

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Par Sophie Trelcat
Visuel à la une : Détail de la façade sur jardin de l’opération de logements la Métropolitaine, Paris 17e, réalisée par Ignacio Prego Architectures et Thibaud Babled Architectes Urbanistes © Laure Vasconi

— Retrouvez l’intégralité de l’article dans Archistorm 129 daté novembre – décembre 2024