Adepte de l’architecture bois et de la préfabrication, le jeune architecte Marco Lavit s’intéresse depuis l’ouverture en 2014 de ses agences – parisienne et milanaise – à l’écotourisme. Dans les collines plantées de vignes de la région piémontaise d’Asti, il vient d’achever quatre lodges entièrement menuisés en bois : trois hébergements et leur pavillon d’accueil.

Du vernaculaire au tourisme

L’une des tendances hôtelières actuelles est aux lodges. Longtemps l’apanage des réserves africaines, ils ont fait des émules d’abord dans bon nombre de destinations exotiques où ils se sont démultipliés en brochettes, souvent dans des cadres idylliques de carte postale. Ils accompagnent aujourd’hui – avec plus au moins de bonheur architectural – le retour à la nature, que ce soit à la campagne ou à la montagne.

Tout aussi mythique fut la cabane, y compris celle, qu’enfant, on érige dans les arbres. Là aussi les hôteliers y virent une opportunité de proposer à leur clientèle des tree houses dépaysantes, les plus connues étant celles d’Harads en Suède, où ont œuvré avec brio les agences scandinaves Snøhetta puis BIG. Si le cabanon méditerranéen a d’abord inspiré la caravane pour satisfaire au nouveau nomadisme touristique, puis le mobil-home, l’imaginaire de la cabane a plutôt fait émerger le glamping.

Marco Lavit a su explorer avec subtilité et technologie ces nouvelles pratiques touristiques. En 2017, il concevait la tree house Origin avec spa sur la cime d’un chêne de la forêt du château de Raray (Oise). L’année suivante, il livrait au bord du lac de la Lionne – au cœur du célèbre vignoble de Châteauneuf-du-Pape – une série de cabanes sur pilotis exploitées par Coucoo Grands Cépages.

La conception d’un petit écohôtel non loin de la crête d’une colline d’une commune rurale piémontaise entourée de vignobles l’a stimulé à revisiter une autre typologie ancestrale d’habitation : la hutte.

© Silvia Lavit Daniel Mazza

Un écohameau avec une âme

« Grazzano Badoglio fait partie d’un paysage agricole et viticole d’une qualité particulière du point de vue environnemental, paysager et naturaliste, commente l’architecte. Comme pour toutes nos conceptions, la théorie se confronte à l’histoire du territoire ; le terme de terroir est peut-être celui qui aide le mieux à comprendre l’importance d’un paysage et d’un site, car il indique en même temps son arrière-plan historique et culturel, qui est intrinsèque au lieu. »

Il importait tant au concepteur qu’aux édiles municipaux et régionaux que cet équipement valorise l’environnement paysager, ce qu’allait grandement faciliter l’expérience du premier en matière de structures d’habitations insolites et innovantes à partir de modules légers et préfabriqués. Pensé comme une évolution de la cabane primitive – archétype originel retranscrivant la relation entre l’homme et la nature –, le Little Leisure Lodge a donc été imaginé comme un hameau de quatre huttes. Toute en délicatesse, leur implantation dans les derniers escarpements de la colline ménage tout autant leur interconnexion que leur indépendance, leur convivialité que leur intimité. Leur orientation respectivement différente leur permet de dialoguer avec le grand paysage. À ce sujet, Marco Lavit évoque le shakkei : le « paysage emprunté » de l’art du jardin zen nippon, dont la taille plus que contrainte est compensée par l’intégration perspective du lointain qui concourt à y dissoudre les limites de la parcelle.

© Silvia Lavit Daniel Mazza

Charpentes et pentes

Les deux plans inclinés de la toiture de chacune des huttes sont constitués par une série rapprochée de fermes équidistantes aux arbalétriers dédoublés moisant les poutres supportant le plancher et contreventant la charpente. Les liteaux les recouvrant font office de pare-soleil de la terrasse, dont ils préservent aussi l’intimité. Pour l’habitacle, un complexe isolant habille les rampants intérieurs, et à proximité du faîtage, des lucarnes fixes génèrent des puits de lumière rasante.

Des plateaux intercalés entre deux fermes forment un escalier rendant latéralement accessibles les terrasses depuis le terrain. Cette charpente découplée, en mélèze huilé, lui permet de s’adapter différemment à la pente sur ses deux versants, tel un mille-pattes. De 6 m de large par 9 m de long sous 5,5 m de hauteur sous faîtage, le plancher surélevé limite au strict minimum l’impact au sol du lodge, préservant ainsi le biotope. Celui de la terrasse est découpé circulairement pour encastrer un bain nordique dont les canalisations sont dissimulées dans une tourelle au liteaunage ajouré. Charpentes et menuiseries ont été préfabriquées par des artisans locaux dans leurs ateliers avant d’être assemblées sur place.

Protagonistes de la scène paysagère, de grandes baies vitrées à menuiseries bois obturent les pignons, celles à l’arrière sont devancées – partiellement ou en totalité – par des tasseaux en bois tenant lieu de claustra d’intimité aux salles d’eau. Entièrement dessiné sur mesure, l’agencement du reste de l’habitation lui confère une fluidité spatiale et un potentiel d’appropriation maximum tout en renforçant l’impression de vivre en permanence dans le paysage.

Un savant équilibre a été recherché avec succès entre espaces privés, semi-publics et publics, entre privatif et communautaire, entre intérieur et extérieur, entre local et panorama. L’omniprésence du bois, l’éclairage naturel – intense ou diffus selon les heures du jour – et les grands voilages immaculés métamorphoseraient presque ce lieu de villégiature en retraite spirituelle… animiste !

Près de la crête, le quatrième édicule se veut un lieu d’accueil, de rencontre et de partage afin de susciter un sentiment d’appartenance à la petite communauté du Little Leisure Lodge ! ⁕

 

Texte : Lionel Blaisse
Visuel à la une : Photo © Silvia Lavit / Daniel Mazza

— retrouvez l’expérience hotellière sur Lilelo Little Leisure Lodge, Grazzano Badoglio, Italie, Atelier LAVIT dans Archistorm 120 daté mai – juin 2023 !