PATRIMOINE

Réflexions sur l’architecture moderne

 

Voie singulière du mouvement moderne en France[1], Georges-Henri Pingusson a laissé deux œuvres majeures (l’hôtel Latitude 43 à Saint-Tropez et le Mémorial de la déportation à Paris) et des réalisations représentatives des grandes thématiques et tendances de l’architecture du XXe siècle. Sept édifices sont aujourd’hui inscrits ou classés au titre des Monuments historiques ; ces protections révèlent une évolution du regard et sont l’occasion de revenir sur une politique pionnière menée en France depuis 1959.

 

Mémorial de la déportation à Paris (1962) ©Simon Texier

À cette date, la France se dote d’un ministère des Affaires culturelles, occupé par André Malraux, écrivain, historien de l’art et proche de Le Corbusier. L’œuvre de ce dernier bénéficiera d’un destin patrimonial exceptionnel, qui commence avec le sauvetage, entre 1959 et 1961, de la villa Savoye à Poissy, alors en ruine. C’est cependant un bâtiment des frères Perret, le théâtre des Champs-Élysées, qui le premier avait donné lieu, dès 1957, à un classement au titre des Monuments historiques. Tout en prenant cette décision, la Commission supérieure des M. H. faisait aussi le vœu que d’autres édifices significatifs des XIXe et XXe siècles puissent être protégés. Il fallait pour cela que l’intérêt archéologique des bâtiments ne soit plus un critère obligé ; la loi de 1913 sera donc modifiée par décret du 18 avril 1961. Plusieurs listes sont alors dressées, qui aboutissent à celle proposée en 1963-1964 dans le cadre d’une commission présidée par le chef de cabinet de Malraux, André Holleaux : parmi la centaine d’édifices mentionnés, une moitié fait l’objet d’une protection au cours des quatre années suivantes. On y trouve des œuvres qui ont à peine dix ans d’existence, comme la Cité radieuse à Marseille de Le Corbusier et l’église Saint-Joseph du Havre des frères Perret. On y trouve aussi des créations d’architectes encore en activité, tels Eugène Beaudouin, Marcel Lods, Maurice Novarina ou le constructeur Jean Prouvé.

 

Georges-Henri Pingusson n’est pas concerné par cette première phase de protection, pas plus qu’il ne le sera par la seconde, issue de la liste proposée par le secrétaire d’État Michel Guy en 1974 : celle-ci confirme l’emprise de Le Corbusier et Perret, mais aussi de Robert Mallet-Stevens, André Lurçat, Pierre Patout, Tony Garnier ou Henri Sauvage. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que sont entérinées des protections d’œuvres de Pingusson, dans un contexte institutionnel qui a profondément changé à partir de 1984, avec le transfert aux instances régionales (actuelles Commissions régionales du patrimoine et des sites) de la procédure d’inscription au titre des monuments historiques. C’est logiquement l’hôtel Latitude 43 à Saint-Tropez (1932), pourtant proposé dès 1964, qui est protégé le premier, en 1992. Pingusson y avait mis en place quelques invariants de sa production à venir et de sa pensée sur l’architecture : desserte par coursive à demi-niveau assurant aux chambres un éclairage bilatéral, austérité quasi monacale, horizontalité des formes et symbolique navale. La présentation exhaustive qu’en fit L’Architecture d’aujourd’hui en décembre 1932 allait assurer à l’architecte une reconnaissance internationale immédiate.

En 1993, c’est tout aussi logiquement le Mémorial des martyrs français de la déportation (1953-1962) qui est inscrit, avant un classement en 2007. Accumulation de références en un lieu qui confine pourtant à l’épure, cet aménagement situé à la pointe orientale de l’île de la Cité est à la fois l’aboutissement d’une poétique de l’espace, dont l’architecte a fait l’un de ses principaux thèmes de recherche, et l’occasion pour lui d’un travail sémiotique dont la richesse n’a probablement pas encore été épuisée. Claude Parent le classera « parmi les dix chefs-d’œuvre d’architecture au monde ». À partir de 1994, commence un cycle de protection marqué par l’ouverture à des réalisations plus modestes et souvent méconnues de Pingusson ; en même temps que l’accès à ses archives depuis les années 1980 produit des articles de plus en plus nombreux, une telle reconnaissance est encore le fruit du travail mené au sein des services régionaux de l’Inventaire. Auteur de quatre églises autour de Metz à la fin des années 1950, Pingusson parvient, avec Saint-Maximum de Boust, à mettre en application – au prix de quelques concessions – le schéma d’un plan circulaire avec autel au centre qu’il défend alors depuis plus de vingt ans. Les vitraux bleus en dalles Boussois (380 kg chacune), créés par Silvano Bozzolini, procurent à la nef l’« atmosphère calme et apaisante » voulue par l’architecte. Il faudra attendre 2006 pour qu’une seconde église, celle de Fleury, soit à son tour protégée.

 

[1] Exposition Georges-Henri Pingusson (1894-1978), une voix singulière du mouvement moderne, Cité de l’architecture et du patrimoine, du 16 février au 2 juillet 2018 (commissariat Simon Texier).

 

Texte et visuel à la une : Simon Texier

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