Alors que de nombreuses réalisations de l’agence Andrault et Parat bénéficient du label ACR (Architecture contemporaine remarquable), l’une des plus remarquables parmi leur immense production, le Crédit Agricole de Saint-Jean-de-Braye (1973), s’apprête à être démolie. Ne doit subsister, tel un totem rappelant une histoire révolue, qu’une tour circulaire en brique. Cette disparition annoncée de longue date est l’occasion de redire l’importance du tandem parisien dans le paysage de l’architecture française des années 1960-1980.

« Il était impossible de rénover l’existant. Il aurait fallu ajouter du poids à une architecture « en porte à faux » », pouvait-on lire dans La République du Centre du 21 mai 2021 à propos du Crédit Agricole. Il y a de quoi s’interroger sur cet argument : loin d’être subie, la construction d’un ensemble neuf, avant démolition d’un héritage encombrant, relève plutôt du parti pris. Les décès successifs de Michel Andrault (1926-2020) puis de Pierre Parat (1928-2019) ont-ils facilité cette décision ? On laissera à d’autres le soin d’enquêter. Il est en tout cas certain que, assortie d’une destruction quasi complète des archives de leur agence, la séparation violente des deux associés, au début des années 1990, avait déjà contribué à empêcher tout récit apaisé de leur fulgurante carrière. L’alchimie du binôme Andrault et Parat demeure ainsi en partie une énigme.

L’agence est fondée en 1957, au moment où le modernisme international impose, à l’architecture tertiaire notamment, les formes lisses des buildings américains signés Belluschi, Mies van der Rohe ou SOM. À cette dictature du mur-rideau que rejette également Roger Anger dès ses débuts parisiens, elle oppose des systèmes de construction à la fois plus lisibles et plus expressifs, que l’on a pu rapprocher du métabolisme japonais. La seule influence américaine que Parat revendiquait était en l’occurrence américaine : l’ossature extravertie du John Hancock Center de Chicago (SOM). Mais le premier rationalisme que Parat a côtoyé de près est celui d’Auguste Perret, lorsqu’il travaillait sur l’église Saint-Michel au Havre. Bien que plus sensible à la plastique de Le Corbusier ou Frank Lloyd Wright, il gardera du maître du béton armé le goût de l’ossature, d’une vérité ou plutôt d’une clarté constructive, débarrassées toutefois de la dimension morale de la théorie du maître.

Le style particulier des réalisations d’Andrault et Parat tient à une approche ratio-
naliste, certes, mais traduite par une nette distinction portant/porté (et non plus ossature/remplissage comme chez Perret). Le goût de l’agence pour les rotules, les puissants piliers et les poutres saillantes s’exprime alors au moyen de spectaculaires ossatures. Pour les immeubles de bureaux et sièges sociaux, la formule récurrente de la superstructure devient alors une signature. Et si c’est avec le béton armé que le duo s’exprime le plus fréquemment, l’une de ses réalisations les plus connues, le siège d’Havas à Neuilly-sur-Seine (1968-1973), réalisé avec Jean-Pierre Sarrazin, trouve son identité dans l’épure du métal. Pour les immeubles de bureaux et sièges sociaux (Caisses régionales du Crédit Agricole d’Auxerre et de Saint-Jean-de-Braye), la superstructure devient ainsi une marque de fabrique, tandis que la préfabrication lourde avec refends porteurs domine dans les opérations de logement.

La logique d’expression de l’ossature et des circulations est rendue encore plus claire, voire spectaculaire, lorsqu’elle est associée à un troisième principe : l’éclatement des volumes. Le travail de l’agence Andrault et Parat trouve là toute sa
cohérence et ses bâtiments une force plastique qui fera son succès. Qu’il s’agisse d’architecture scolaire, de bureaux ou de logements, l’éclatement des volumes ne relève d’aucun formalisme, mais d’une volonté de clarification du programme et d’expression de chacune de ses parties. Plus concrètement, ce mode d’assemblage individualise les espaces sans les isoler, ouvre chaque corps de bâtiment sur l’extérieur, le met en relation avec son environnement direct et offre, à l’usager comme à l’habitant, une multiplicité de points de vue.

Crédit Agricole, Saint-Jean-de-Braye © CA

La lisibilité des fonctions qui composent chaque bâtiment conçu par l’agence Andrault et Parat participe également d’un fonctionnalisme alors dominant, mais qui n’est chez eux pas parfaitement orthodoxe : ce fonctionnalisme est au contraire compensé par un jeu de formes qui le transcende. Dans un constant balancement entre unification et éclatement, dont leurs dessins témoignent au quotidien, les archi-
tectes cherchent l’expression à la fois exacte, efficace et puissante du programme. Deux réalisations parisiennes illustrent cette méthode de manière particulièrement éloquente : le Centre universitaire Pierre-Mendès-France, rue de Tolbiac (1970-1973), où Andrault et Parat répondent à une exigence d’extrême densité tout en évitant tout monolithisme, et la tour Totem (1973-1978) dans le nouveau quartier de Beaugrenelle, qui accueille 208 logements. À une structure composée d’un noyau de petite taille, renforcé aux angles par quatre cylindres porteurs – où logent également différents fluides –, viennent s’accrocher, tous les quatre étages, des poutres précontraintes auxquelles sont suspendus les cubes accueillant chacun trois niveaux de logements, décalés de 45 degrés par rapport aux poutres. Les appartements compris dans la structure, eux, affleurent tous les quatre niveaux comme une simple ponctuation.

Investis dès la création de leur agence dans la recherche sur de nouvelles formes de logements, Andrault et Parat font partie des inventeurs de l’habitat dit intermédiaire. Ils conçoivent d’abord, dans les années 1960, plusieurs groupes ou ensembles de maisons individuelles, à Clamart puis à L’Isle-Adam (parc de Cassan). Plus atypiques, les commandes de deux VVF (Villages Vacances Familles) en Ardèche, à Chambonas – aujourd’hui sur la commune des Vans – et à Berrias-et-Casteljau, leur sont confiées en 1966 et 1969, en même temps qu’ils développent le principe des maisons individuelles superposées – dites « gradins-jardins » – qui fera leur succès. L’une et l’autre bénéficient depuis 2003 du label Architecture du XXe siècle / ACR. C’est le cas également de la résidence Horizons 80 à Saint-Laurent-du-Var, en périphérie de Nice, qui, dans un contexte tout à fait différent, propose une spectaculaire mise en scène des circulations verticales.

Le label du ministère de la Culture est encore venu saluer plusieurs réalisations de type « Maisons Gradins Jardins » ou « Pyramides ». Andrault et Parat remportent un premier marché en 1966 dans le cadre du Programme pluriannuel de logement (PPL), puis en 1969 dans le cadre du « concours Chalandon ». Reprenant le modèle tout récemment livré à Épernay, l’agence conçoit à Villepinte (1970-1972) cinq pyramides regroupant chacune trente-trois « maisons individuelles superposées » réparties sur cinq niveaux. Les accès aux logements, tous dotés d’une terrasse de 35 m2 et de jardinières, se font soit par le parking collectif, soit par les escaliers qui rythment le paysage. Le principe des « Maisons Gradins Jardins » est par la suite agréé dans le cadre des Modèles Innovation (1973), avec une trame constructive de 6,20 mètres. Du modèle linéaire mis en œuvre à Coulommiers à la version extrême que sont les Pyramides d’Évry (1973-1975) – une commande pharaonique de 7 000 logements, dont seule la première tranche (2 500 logements) sera réalisée –, Andrault et Parat établissent une série de variantes qui permet à leurs réalisations de s’adapter à une multitude de contextes, notamment topographiques. La qualité de leurs interventions tient en grande partie à la variété des plans, à la complémentarité entre minéral et végétal, mais encore à la permanence des cheminements piétons. Et c’est le cas dans la plupart des bâtiments produits par l’agence Andrault et Parat, qui méritent tous d’être analysés en tant que tels.

À voir : Exposition à la Maison de l’architecture Centre Val de Loire, Orléans.

Par Simon Texier
Visuel à la une : Résidence Horizons 80, Saint-Laurent-du-Var, 1969

— Retrouvez l’intégralité de l’article dans Archistorm 129 daté novembre – décembre 2024