Jeux olympiques et paralympiques obligent, les architectures du sport bénéficient d’un intérêt massif, qui contraste avec la portion congrue généralement réservée à ce programme dans les livres d’architecture. Équipement le plus souvent banal, le stade donne lieu, à grande échelle, à des structures volontiers éloquentes. C’est cependant en réduire la portée que de le limiter ainsi à un simple geste d’ingénieur.

Le mouvement olympique et, d’une manière plus générale, la place du sport dans l’évolution de la société confèrent tout au long du XXe siècle une place croissante au stade. Durant les premières décennies, l’idéal gréco-romain s’impose facilement comme une référence culturelle et inspire la plupart des architectes de l’entre-deux-guerres. La captation de l’antique comme ferment de la modernité se lit aisément au stade Gerland à Lyon (1914-1926), que Tony Garnier scande de quatre grands arcs de béton. À Los Angeles, le Coliseum de John et Donald Parkinson, construit en 1921-1923 puis agrandi pour les Jeux olympiques de 1932, perpétue quant à lui le modèle grec de l’enceinte en forme de U. C’est encore à l’antique qu’en réfère Albert Speer lorsqu’il revoit le projet de Werner March – auteur dès 1928 du Forum des Sports – pour le stade olympique de Berlin (1936) : la grande fonctionnalité de l’édifice, que March voulait traduire visuellement en utilisant le béton armé et le verre, s’accompagnait de piliers colossaux, d’une corniche et d’un revêtement de pierre. Il en sera de même à Rome et, tandis qu’à Florence Pier Luigi Nervi innove avec l’auvent du stade municipal (1930-1932), son spectaculaire escalier hélicoïdal déconcerte un moderne français, Georges-Henri Pingusson, qui la juge « un peu arbitraire ».

Enrico Del Debbio, Foro Mussolini, Rome, 1927-1932

Pour autant, l’éloquence du stade n’est pas seulement affaire de structure, mais aussi de sculpture.

Chantier parmi les plus importants de la Rome fasciste, le Foro Mussolini – renommé Foro Italico après la Seconde Guerre mondiale – fait l’objet d’un plan d’ensemble conçu par Enrico Del Debbio à partir de 1927. Ce projet est l’occasion de ranimer l’esprit antique des jeux et le culte du corps ; c’est aussi le support idéal pour redonner à la sculpture monumentale un rôle prééminent. Dans l’axe du pont Duca d’Aosta, dont Vincenzo Fasolo remportera le concours en 1935, un obélisque marque l’entrée du nouveau parc des sports, pavée de mosaïques et flanquée par les deux bâtiments de l’Académie fasciste d’éducation physique (Del Debbio et Costantino Costantini, 1932). Les murs pignons de ces derniers sont rehaussés de niches dans lesquelles sont placées des figures sculptées en bronze. La tribune d’honneur accueille quant à elle deux groupes de lutteurs. Mais c’est l’enceinte tout entière de ce stade de seulement dix rangées de gradins qui est rythmée par la sculpture : soixante statues en marbre de Carrare, hautes de quatre mètres, représentent les différents gestes des jeux gymniques, chaque province italienne ayant fait don de l’une d’elles. Dominé par le Palazzo Littorio (Del Debbio, Arnaldo Foschini et Vittorio Morpurgo, 1938), le Foro Mussolini devait surtout l’être par une colossale statue du Duce conçue encore une fois par Del Debbio (1933-1936), dont seuls des maquettes ont été réalisées.

L’après-guerre est le temps du sport de masse et de tous les records. Jamais égalé, le gigantisme du stade Maracaña à Rio de Janeiro (1950) – il pouvait, avant sa reconstruction en 2014, accueillir jusqu’à 200 000 personnes – n’a cependant pas été compensé par une innovation technique permettant une bonne visibilité. L’enjeu des grandes enceintes se situe donc bien dans la relation entre une échelle, des besoins et la structure qui les satisfera. Après les œuvres pionnières d’Eduardo Torroja à Madrid (hippodrome de la Zarzuala, 1935) et Barcelone (stade Les Corts, 1945), limitées toutefois à la couverture des tribunes, des structures innovantes sont imaginées pour dégager la totalité de l’espace sportif, tels les arènes de Raleigh par Matthew Nowicki (1953), le petit palais des Sports de Rome, par Nervi (1957), la patinoire David S. Ingalls par Eero Saarinen à New Haven (1959), ou les gymnases olympiques de Tokyo par Kenzo Tange (1964).

Santiago Calatrava Valls, tour de télécommunications, Barcelone, 1992

À Paris, comme pour beaucoup d’équipements, c’est après d’innombrables projets et hypothèses d’implantation que le premier grand stade est réalisé, en 1972. Conçu par Roger Taillibert, le Parc des Princes remplace l’ancien stade démoli par la création du Boulevard périphérique, sur lequel il sera posé. Taillibert s’était déjà fait connaître par plusieurs équipements sportifs, notamment la piscine olympique de Deauville (1966) et la piscine Roger Le Gall à Paris 12e (1967). Engagée en 1968 avec le renfort tout nouveau d’ordinateurs, l’étude d’un stade de 50 000 places à la Porte d’Auteuil lui a permis de pousser les capacités du béton armé à leurs limites : l’enceinte est composée de cinquante portiques de béton précontraint, chacun comportant un mât courbe vertical se prolongeant par un fléau en porte-à-faux au-dessus des gradins. Un anneau technique de 642 mètres de long, suspendu à 20 mètres au-dessus de la pelouse, relie les fléaux, joue le rôle de contreventement et accueille le système d’éclairage du stade. Une seconde structure, totalement indépendante de celle portant la couverture, est constituée de deux types de poutres (tribune haute, tribune basse) supportant les gradins préfabriqués. Les déambulatoires complètent ce jeu structurel où seul le béton brut est visible. Il résulte de ce choix constructif une unité de forme et de matière inédite dans l’architecture des stades.

Roger Taillibert réalisera par la suite le stade et la piscine olympiques de Montréal (1976), prouesses techniques dont la puissance d’expression trouve son exact opposé dans les toitures en structures textiles tendues de Frei Otto, pour le site olympique de Munich (Behnisch & Partner, 1972). Mais le plus important est que, désormais, une grande compétition et a fortiori une olympiade a vocation à structurer durablement l’espace et l’imaginaire métropolitain. Les Jeux de 1932 à Los Angeles n’avaient donné lieu à aucune installation pérenne, les sportifs étant logés dans des constructions provisoires en bois ; à Berlin, quatre ans plus tard, tous les bâtiments seront construits en pierre et réutilisés. Le potentiel d’aménagement de l’olympisme se confirme surtout après-guerre, les Jeux (d’été comme d’hiver) devenant une occasion pour chaque ville de repenser ses stratégies de développement. À Barcelone, les cinq années de préparation des Jeux de 1992 ont été décisives pour l’évolution de certaines parties de la ville. Au-delà des équipements réalisés sur la colline de Monjuïc, comme le palais Sant Jordi signé Arata Isozaki ou la tour de télécommunications de Santiago Calatrava, c’est le bord de mer, depuis Barceloneta jusqu’à l’embouchure du Besòs, soit 1,5 km, qui est reconquis sur l’industrie et les réseaux : lieu d’implantation du village olympique, le site fait l’objet d’un projet structurant avec la création de 2 500 logements. Ce moment a également permis à Barcelone de renouer avec une culture de l’espace public qui en a fait un modèle en la matière.

 

À lire : Franck Delorme et Pascal Lemaître (photos), Les Sports en France de l’Antiquité à nos jours. Une histoire, un patrimoine, Paris, Éditions du Patrimoine, 2023, 368 p. et Antoine Le Bas et Philippe Grandvoinnet, Architectures olympiques en France, 1900-2024, Paris, Éditions du Patrimoine, 2024, 192 p.
À voir : « Il était une fois les stades » (commissariat Émilie Régnault), Paris, Cité de l’architecture et du patrimoine, jusqu’au 16 septembre 2024.

 

Texte et photos : Simon Texier
Visuel à la une : Roger Tallibert, Parc des Princes, Paris, 1972

— Retrouvez l’article dans archistorm 127 daté juillet – août 2024