Dans le milieu de l’architecture, la question de la pérennité des agences, de leur transmission et de leur avenir s’avère d’actualité pour toute une génération, celle des Trente Glorieuses. C’est pourquoi le nouveau chapitre ouvert par les équipes de Reichen et Robert & Associés et de Carta & Associés à travers leur fusion pourrait bien avoir valeur d’exemple. D’autant qu’il s’agit de l’union de deux structures bien implantées dans le paysage français. « Les agences d’architecture ayant cinquante ans d’existence sont rares alors qu’elles constituent une richesse inestimable en termes de références, compétences et savoir-faire », relève Marc Warnery, président de la nouvelle entité Carta, Reichen et Robert Associés. Si chaque agence aurait pu continuer son chemin de son côté, la fusion s’est imposée par « l’envie de travailler ensemble », assure Marc Warnery. « Il y avait ce désir d’échanger avec un interlocuteur de confiance et offrant un autre point de vue », renchérit Stephan Bernard, directeur général. « Cette fusion est un moyen de se solidifier et d’atteindre la taille des grandes agences françaises. » Un changement d’échelle qui permet d’accéder à de nouvelles commandes et qui « offre plus de points de vue contradictoires au service des projets ».
Un détour historique s’impose ici. Avec leur agence créée à Paris en 1973, Bernard Reichen et Philippe Robert se sont fait connaître par la reconversion exemplaire des filatures du NordFrance, puis par la réhabilitation de vastes nefs du XIXe siècle : la grande halle de la Villette, le Pavillon de l’Arsenal ou la Halle Tony Garnier à Lyon, et, enfin, par la reconversion du site de l’usine Menier à Noisiel pour accueillir le siège social du groupe Nestlé France. En 2004, l’agence se restructure en Reichen et Robert & Associés regroupant autour des deux fondateurs, Marc Reiniche et Jacques Lissarrague, à l’agence depuis vingt ans chacun et qui l’ont gérée ensemble, Marc Warnery et Jean-François Authier qui représentaient la jeune génération des « repreneurs ». Jean-François Authier quittera l’agence en 2011. En 2012, Marc Warnery, architecte franco-suisse formé à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, devient directeur général. Dans le cadre d’une relation étroite avec Bernard Reichen, Marc Warnery traite des projets d’architecture, mais également d’urbanisme. Il élabore successivement les projets hospitaliers, les ensembles tertiaires, les opérations de logements et arrive naturellement à la conception des projets urbains.
De son côté, Stephan Bernard rejoint en 2001 l’agence fondée par Roland Carta à Marseille. Sur la base de l’agence paternelle, ce dernier a bâti une structure devenue, au fil du temps, l’une des plus importantes du sud de la France, répondant tant à la commande privée (bureaux et logements) qu’aux grands projets d’équipements publics (hospitalier, enseignement, culture) en France et à l’étranger. Stephan Bernard est diplômé de l’ENSA Marseille-Luminy. Également franco-suisse, et également né en 1972, Stephan multiplie les expériences professionnelles à Paris (Jean-Michel Wilmotte) et en Suisse (Zurich, Lucerne). Lors du remaniement de l’agence en 2009, il devient directeur général associé de la nouvelle entité Carta Associés.
À Paris comme à Marseille, la transmission des agences était donc enclenchée, depuis 2004 pour Marc Warnery, aux côtés de Bernard Reichen et Philippe Robert (Philippe Robert prenant sa retraite en 2009 tout en conservant ses parts jusqu’à la fin du processus en 2019), et depuis 2008, pour Stephan Bernard auprès de Roland Carta. Les nouveaux associés soulignent l’importance de ce compagnonnage « sur la durée » aux côtés de leur mentor, le rôle de la transmission, du partage d’expériences. « Ils nous ont permis à la fois d’apprendre et de nous exprimer, de nous faire connaître progressivement tout en nous faisant bénéficier de leur patience et de leur expérience. »
À l’issue du rachat des parts de chacune des deux agences s’est posée la question d’un nouvel horizon. Comment envisager les vingt prochaines années et cette période complexe, riche en crises et en défis ? L’idée de mutualiser les forces s’est alors imposée. La décision de se réunir date de la fin 2018 et aura mis près de trois ans à se concrétiser.
Les intéressés ont pris le temps d’apprendre à se connaître. Leur première rencontre s’opère en 2003 autour du concours pour l’hôpital Pasteur à Nice. Reichen et Robert & Associés sont alors mandataires, et Carta Associés, architectes d’opération. Cette première collaboration est l’occasion d’échanger et de se découvrir des points de convergence. Leur approche commune du métier repose, par exemple, sur l’importance d’une réponse contextualisée, le goût des récits architecturaux et urbains, et une certaine discrétion. « Nous partageons cette culture helvétique d’un consensus qui n’est pas pour autant un consensus mou », souligne Marc. « À chaque nouveau projet, il y a cette recherche d’équilibre entre l’époque, le site et le programme, le tout formant le contexte spécifique à chaque opération. Nous avons aussi pris l’habitude de travailler en association avec d’autres confrères sur différents projets. » En matière de programmes comme d’échelles, les deux entités travaillaient déjà chacune sur une large gamme de réalisations : le secteur hospitalier, donc, mais aussi les bureaux, les logements, la reconversion, etc. Avec une spécificité sur le volet urbanisme du côté de Reichen et Robert & Associés. Cette continuité entre Paris et Marseille se révèle aujourd’hui à travers deux projets emblématiques qui édifient comme un pont entre les deux agences à plus d’un quart de siècle de distance. Au nord, la reconversion de l’ancienne usine Menier à Noisiel en siège social de Nestlé, livrée en 1996 et aujourd’hui soumise à un nouveau projet d’aménagement. Au sud, la réhabilitation de l’ancienne Poste Colbert de Marseille en bureaux, récompensée du Prix spécial du jury au Simi à la fin de l’année dernière. Dans les deux cas, une même attention à l’histoire, la valorisation des caractéristiques du bâti et la transformation/réinvention pour de nouveaux usages. Dans leurs différents domaines d’intervention, l’addition des références devrait aussi peser dans l’accès à de nouvelles commandes en France comme en Europe. « Nos équipes portent aussi une grande attention à la réalisation et au suivi de projet depuis le concours jusqu’à l’exécution, poursuit Stephan Bernard. C’est important de pouvoir tenir fièrement le projet jusqu’au bout. »
L’implication de l’agence dans le mécénat est aussi un signe de l’importance accordée à la transmission et au partage. À Genève, la fondation WRP, créée en 2018 par Marc Warnery et Bernard Reichen, en collaboration avec le designer Christophe Pillet, représente un lieu à la fois d’exposition artistique et de mentorat de jeunes entrepreneurs en urbanisme, architecture ou design, recrutés sur appel à candidatures. « C’est un soutien aux projets de jeunes professionnels qui nous enrichissent et nous interrogent sur nos pratiques », résume Marc Warnery. À Marseille, le mécénat se décline notamment sous la forme d’expositions et d’une résidence de jeunes artistes dans les bureaux de l’agence (avec Mécènes du Sud) ou par une découverte des métiers de l’architecture proposée à des classes de collégiens.
La fusion des deux agences, au 1er octobre 2021, porte la nouvelle entité, Carta, Reichen et Robert Associés à un groupe de 120 collaborateurs, à Paris, Marseille, Nice, Genève et Rabat. Bernard Reichen et Roland Carta demeurent, comme membres du conseil stratégique, aux côtés de Marc Warnery et Stephan Bernard (qui détiennent à eux deux 90 % des parts). Le reste de l’équipe dirigeante est composée de Frédéric Caudoux, associé (responsable de l’atelier « concours » à Paris) ; Agnès Defer (responsable de l’atelier « développement des études » et de l’atelier « qualité et chantiers à Paris ») ; Celina Pigeat, associée (responsable du développement, Marseille) ; Ludovic Bisi (responsable de l’atelier « chantiers » à Marseille) ; Houyame Mourchid (directrice de l’agence Reichen et Robert & Associés International à Rabat).
Sur leur large registre, cette nouvelle agence consolide son développement. Elle vient de livrer à Saint-Priest (Grand Lyon) un bâtiment conçu pour des bureaux, mais occupé aujourd’hui par un programme de logements d’étudiants au sein du campus de formation aux métiers du rail de la SNCF. C’est le premier exemple d’un bâtiment conçu et réalisé pour être totalement réversible. Et, parmi les projets emblématiques à venir figurent, à Marseille, l’aménagement du hangar « le J1 », sur le port autonome, pour transformation en un lieu de loisirs, de restauration, de bureaux et de coworking, accueillant un hôtel 5 étoiles, et le stade nautique du Roucas blanc pour les JO 2024. À l’étranger, viennent de démarrer des chantiers d’hôpitaux à Djibouti et au Tchad. Le projet Rout Lëns (« lentille rouge ») à Esch-Belval, au Luxembourg, devient opérationnel, tout comme la reconversion des halles d’Arcelor en halle gourmande, bureaux et logements à Seraing (Belgique). De quoi envisager les prochaines années avec confiance et une relative sérénité.
Texte Mathieu Oui
Photos Juan Jerez
Visuel à la une Stéphan Bernard, directeur général & Marc Warnery, président-directeur général
Retrouvez le portrait d’agence de Carta-Reichen et Roberts Associés dans Archistorm 113 daté mars – avril 2022