Implantée au cœur de Belleville, l’agence de Gaétan Engasser se trouve au quatrième et dernier étage d’un immeuble des années 1980. Une fois le seuil franchi, on découvre un vaste et lumineux plateau de travail occupé par de longues tables de travail. Des murs de rayonnages, des toiles colorées de facture abstraite et des plantes vertes animent cet espace studieux. Au mur d’une petite salle de réunion, un collage d’images d’architecture, de photos et de dessins. Cette carte sensible rappelle, si besoin en était, combien le goût des formes, le choix des matériaux et le sens du détail font partie intégrante de la conception architecturale. Fondée en 2009, l’agence qui compte 35 salariés (dont 26 architectes) est présente à Sarreguemines, ville dont Gaétan est originaire, et à Montpellier. C’est une structure familiale, à la fois par sa taille et par la présence de l’épouse de son fondateur, Hélène, également architecte, et du père de Gaétan, Patrice.
De la formation à l’entrepreneuriat
Dès ses études, Gaétan Engasser a suivi un parcours très ouvert, en se formant, en cinq ans, sur les bancs de quatre écoles (Nancy, Metz, Birmingham, Paris La Villette). Ces expériences successives lui ont donné une vision large et plurielle du métier et des façons de l’exercer. Sa conception architecturale vise aujourd’hui l’équilibre entre l’approche de l’artisan et celle l’entrepreneur. La première s’inscrit dans une pratique ancestrale transmise au sein des ateliers : le rapport aux conditions météorologiques, au sol, au contexte, etc. L’artisan, c’est aussi celui qui construit un objet unique, de A à Z, en étant attentif aux moindres détails. Cette démarche artisanale est modulée par l’approche d’un entrepreneur qui a grandi et qui s’est structuré au fil des années. Aux côtés des architectes, une dizaine de collaborateurs travaille aux fonctions transversales : secrétariat, communication, graphisme, développement, etc. Même les images de synthèse et les perspectives sont réalisées en interne, afin à la fois d’éviter les surcoûts liés à la sous-traitance, et surtout pour maîtriser un rendu le plus fidèle aux intentions. « Toutes ces compétences sont réunies en interne au service du projet. Cela nous permet de nous concentrer sur notre cœur de métier », résume son directeur. Une structuration indispensable pour envisager sereinement la croissance de l’entreprise. « L’échelle que nous avons atteinte aujourd’hui nous permet désormais d’être plus sélectifs dans nos appels d’offres. L’idée est de faire moins de projets, mais qu’ils soient plus ambitieux. » Une démarche entrepreneuriale qui nécessite aussi pour Gaétan de se faire accompagner. Régulièrement, des rendez-vous sont organisés avec un superviseur spécialisé dans l’accompagnement des chefs d’entreprises, dans l’objectif de déterminer des axes stratégiques et d’affiner la vision de la société. Une structuration qui passe également par la mise en place d’outils de gestion. Pour les réponses aux concours, une méthode de travail a par exemple été définie très précisément avec six phases, de l’analyse du programme au rendu final.
Production diversifiée et programmations mixtes
À raison de quelque 25 projets menés en parallèle, Engasser & Associés a depuis le début choisi de miser sur la diversité programmatique. Si les équipements scolaires et sportifs constituent deux axes forts, l’agence ne s’est pas cantonnée à ces seuls domaines. Elle a aussi à son actif des lieux culturels, des bureaux, des logements, du neuf ou de la réhabilitation. En écho aux récents enjeux urbains et aux besoins de la maîtrise d’œuvre, les programmes mixtes se sont d’ailleurs développés. Le 360 Paris Music Factory, livré en 2020 à la Goutte d’or, constitue ainsi un bon exemple de cette nouvelle mixité. Véritable « millefeuille d’activités », l’édifice réunit autour d’une salle de spectacles un restaurant, des bureaux, des studios de répétition, des ateliers-logements pour artistes. L’agence travaille actuellement à Fontenay-sous-Bois, à la réunion d’une médiathèque et d’un centre municipal de santé, un projet qui a pour intérêt de mêler construction neuve et réhabilitation de l’existant. Et dans la réflexion actuelle sur l’évolution de la ville, la nécessité de densifier le bâti et d’optimiser les espaces, Gaétan Engasser et son équipe prennent toute leur part. Il peut s’agir par exemple de proposer de nouveaux usages, comme dans le cas de la reconstruction du groupe scolaire Joliot-Curie à La Courneuve dans la Cité des 4000. « La plupart des établissements scolaires se trouvent avec des locaux inutilisés en dehors du temps scolaire », observe l’architecte. « À La Courneuve, nous avons constaté combien la Cité des 4000 manquait de locaux associatifs. D’où notre proposition d’ouvrir cinq salles sur le quartier. Avec des surfaces de 60 à 100 m2, elles disposent d’accès indépendants et seront mises à disposition des habitants, en dehors du temps scolaire pour des activités culturelles ou associatives. »
Exigence, rigueur, respect des coûts
En termes de valeurs, l’exigence et la rigueur sont deux maîtres mots dans la pratique de Gaétan Engasser. « Le sens du travail bien fait est très présent chez moi », reconnaît-il. Une exigence certaine qui suppose de passer le temps nécessaire sur chaque réalisation. L’organisation, qualifiée de « chirurgicale », passe par un planning très serré, et la prise en compte, dès le départ, de l’économie réelle du projet. Le respect des délais et des coûts est également une ligne de conduite forte. « Je suis d’une génération d’architectes qui a débuté dans la profession avec des projets hyperserrés. Devoir construire à 1 000 €/m2 nous a aguerris sur cette question économique. » Cet élément essentiel du prix au mètre carré figure d’ailleurs systématiquement dans les éléments de communication de chaque réalisation. Cela mérite d’être souligné tant cette information est généralement absente de la communication de la profession.
Une architecture ciselée
D’un point de vue formel, ses réalisations relèvent d’une architecture très ciselée. « J’ai toujours milité contre le monolithisme des barres et des tours », insiste l’architecte. « La ville doit être fabriquée à l’échelle du piéton, avec du rythme, des variations, l’organisation des bâtiments en séquence. » Une fragmentation qui peut aussi se décliner au plan fonctionnel, ou par le choix d’associer différents matériaux au sein d’un même édifice. Dans le cas de logements à Ivry Confluences, livrés en 2021, cette notion de rythme s’est traduite par des hauteurs variées de bâtiments, du R+2 au R+5, en écho aux constructions avoisinantes. L’alternance de façades en briques, qui évoquent les immeubles ouvriers, et d’autres, plus contemporaines, constituées d’une exostructure blanche au dessin très géométrique, renforce cette rythmique du paysage. Pour le collège Jean Vilar de La Courneuve, les angles ont été volontairement courbés afin d’adoucir la forme générale. Pour un projet de gymnase à Saint-Ouen situé sur une parcelle étroite et imposant une superposition de salles, les formes sculpturales de Chillida ont inspiré le dessin.
Formes et fonctions en dialogue ou indépendantes
D’un projet à l’autre, on observe ce dialogue constant entre forme et fonction, les deux étant soit intrinsèquement liées, soit travaillées de manière totalement indépendante, un même plan fonctionnel pouvant donner naissance à plusieurs expressions architecturales. Quant à la palette de matériaux, elle est assez large, avec une certaine récurrence pour la brique, appréciée pour ses qualités d’isolation et sa grande durabilité. Le souci de l’environnement est toujours très présent à travers le respect des labels, l’emploi de matériaux biosourcés, l’importance de la place donnée au végétal. En matière de recherche et développement, l’agence s’est d’ailleurs investie dans le réemploi des matériaux avec, pourquoi pas, l’idée de participer à la structuration de la filière. Elle travaille aussi sur un modèle de logement épais, avec l’ambition de construire prochainement et de breveter. Last but not least : l’envie de construire ses propres bureaux à Paris, d’ici quelques mois. La recherche d’un terrain est engagée pour édifier ce nouvel exemple d’une architecture mêlant qualité artisanale et goût d’entreprendre.
Texte : Mathieu Oui
Photos : Juan Jerez sauf contre indication
— retrouvez le Portrait d’agence sur Engasser & Associés dans Archistorm 116 daté septembre – octobre 2022