ll y a quelques années, Loci Anima a élu domicile au pied de Montmartre. Ouverte sur une cour, l’agence d’architecture fondée par Françoise Raynaud se trouve dans un ancien garage réhabilité à la façade entièrement transparente. Le nom « Loci Anima », qui signifie « l’âme du lieu » en latin, incarne la philosophie humble de l’agence : chaque être vivant, objet ou élément naturel est porteur d’une énergie propre. L’architecture dépasse ainsi la simple construction de l’homme. Elle s’inscrit dans un écosystème global.
Depuis sa création en 2002, l’agence a construit sa philosophie animiste autour de la diversité de ses projets, que ce soit pour la transformation d’un cinéma ou la construction d’un gratte-ciel à New York. C’est auprès des chefs de projets et des architectes de l’agence que nous le découvrons.
Cette connexion forte qu’entretient la fondatrice avec l’environnement est présente depuis ses débuts. L’agence cherche à faire cohabiter faune, flore et humains, comme le montre le projet A4 EST à Boulogne-Billancourt, une école de la biodiversité. Influencée par son parcours en Asie, Françoise Raynaud prône une symbiose avec la nature, considérant les bâtiments comme des organismes vivants ayant besoin d’éléments essentiels tels que l’air, l’eau et la lumière. Tout programme, échelle de bâtiment et situation géographique comprend ainsi cette philosophie dans son ADN.
La culture, un secteur transversal
L’agence accorde une place centrale à la culture. « Les lieux culturels permettent de faire cohabiter divers programmes, ce qui rejoint notre vision holistique de l’architecture » souligne Alexandra du Couëdic, associée de l’agence. En explorant le domaine de la culture, le chef de projet Xavier Maunoury cherche à désacraliser ces espaces. Le cinéma La Géode, avec sa nouvelle scénographie spectaculaire, et l’ancien Théâtre de l’Ouest Parisien, à Boulogne-Billancourt, illustrent ce regard. Ce premier bâtiment européen inclusif porté par la fondation Perce-Neige et le collectif Culture & Handicap, est pluridisciplinaire, mêlant cinéma, art vivant et restauration, et employant près de 80 % personnes en situation de handicap. Dans la réinterprétation des lieux culturels, les cinémas soulèvent des questions de réhabilitations, de transformations. Le projet iconique de rénovation et extension de la Pagode, monument historique à Paris, met en lumière l’incroyable beauté de cette ancienne salle de bal. La restauration vise à redonner sa noblesse au bâtiment, offrant ainsi une expérience unique aux spectateurs.
Ces réflexions permettent de « contribuer à améliorer et prolonger ce qui existe tout en respectant le contexte historique », explique Christian Félix, chef de projet au sein de Loci Anima. La transformation du cinéma Gaumont Ambassade en boutique éphémère J.M. Weston, où l’on essaie des chaussures dans une salle de cinéma tout en préservant son ambiance, en est un parfait exemple. Dans une deuxième phase de mutation, l’installation du flagship Lacoste allie technologie et innovation et crée un espace culturel évolutif, qui intègre des solutions durables comme une vitrine pariétodynamique sur trois niveaux.
Réhabilitation et réutilisation : un défi contemporain
La réhabilitation est un enjeu majeur pour Loci Anima. Le secteur du
bâtiment produit près de 40 % des déchets et des émissions de gaz à effet de serre, tout en consommant 60 % des ressources. « L’architecte joue donc un rôle crucial », explique Marine Bichot, cheffe de projet. Cette approche axée sur l’économie des moyens et des matériaux stimule la créativité au sein de l’agence. La restructuration du centre commercial historique AUCHAN à Roncq a été conçue dans cette philosophie, réemployant 100 % des matériaux de la façade, sur site.
La présence sur le chantier est ainsi une étape essentielle. « C’est un travail d’orchestre entre différents corps de métiers, nécessitant communication et compréhension des expertises », explique Halima Temam, directrice des travaux. Mais Loci Anima va au-delà du simple suivi de la conception et de la réalisation. L’agence est réintervenue, près de dix ans après la réalisation d’un bâtiment, pour accompagner son évolution et intégrer les nouvelles façons de travailler.
La densité urbaine
Les immeubles de grande hauteur (IGH) font partie de l’ADN de Françoise Raynaud. Formée dans l’agence d’architecture de Jean Nouvel, elle participe au projet de la Tour sans fins (425 m de haut) en 1991, préfigurant l’émergence des Tiny Towers à New York. « La tour Keiko à Issy-les-Moulineaux, d’une hauteur plus raisonnable, est un IGHW de bureaux nouvelle génération qui est la pierre angulaire de la ZAC du Pont d’Issy où Loci Anima a construit trois tours de logements et un campus de bureaux pour AXA et Sefri-Cime », précise Aziz Ghanine, responsable du projet. Au sein de l’équipe Lab 3D de l’agence, Manabu Yamanouchi a ainsi intégré le BIM au projet de la tour Keiko ainsi qu’à de nombreux autres.
Les projets de l’agence se veulent bioclimatiques et symbiotiques. Comme nous l’explique Thomas Panconi, le projet de tour de logements multimodal à Strasbourg en est un modèle : chaque habitant peut bénéficier d’un jardin personnel à travers de grandes terrasses qui, sur la façade, semble s’enrouler d’étage en étage. Il s’agit d’une nouvelle façon d’habiter en hauteur de manière aussi bien individuelle que collective avec quatre jardins communs conçus autour d’une thématique, en fonction des usages et de l’orientation.
« Les enjeux bioclimatiques que relève ce type de projet sont cruciaux, et cela débute dès le plan de masse. En intégrant des principes environnementaux et climatiques, il est possible d’optimiser l’orientation, l’ensoleillement, la ventilation naturelle et l’isolation » avance Raphaël Fischler, en charge des concours chez Loci Anima. « Cette approche favorise le confort thermique, la performance énergétique et le bien-être des occupants, tout en réduisant l’empreinte carbone et en respectant l’environnement » renchérit Vincent Laplante.
Les questions autour de l’eau sont tout aussi importantes dans la conception des bâtiments. Depuis quelques années, Loci Anima explore également les questions du traitement de l’eau, en créant des bâtiments autonomes en eau via la phytorestauration (par les plantes). Des projets, comme celui des bureaux La Source des Batignolles et ses gouttières végétalisées qui permettaient de filtrer l’eau, illustrent cette démarche qui sera encore renforcée dans le dossier déposé pour le plan d’investissement France 2030. Ces initiatives s’inscrivent alors dans une réflexion plus large sur l’intégration de thématiques climatiques dans des projets internationaux.
Une vision à l’international
Dès ses débuts, l’agence a pris une dimension internationale et s’est renforcée avec la réalisation de la tour Greenwich à New York, comme nous le raconte Jonathan Thornhill, architecte associé et référent de l’agence à l’étranger. La structure urbaine de la ville a inspiré l’architecture de cette tour, avec une façade en brique à la trame répétitive qui se pixellise dans les sous-trames des fenêtres. Les grandes ouvertures des appartements captent la lumière et les reflets de l’Hudson, intégrant pleinement la philosophie de l’agence dans le contexte culturel local. Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, cette vision s’exporte et réussit à s’implanter sur chaque projet. Aujourd’hui, Loci Anima développe un hôtel de 300 chambres à Varsovie pour le groupe ORBIS – ACCOR, dans un bâtiment en partie classé.
L’agence aspire à repousser les frontières de l’architecture en élaborant des bâtiments aux stratégies esthétiques, techniques et comportementales s’inspirant directement de l’observation de la nature et contribuant à améliorer, réparer, prolonger ce qui préexiste pour créer des cadres de vie à la hauteur de ce que la nature nous a offert.
Par Louise Conesa
Toutes les photographies sont de © Juan Jerez
— Retrouvez l’article dans Archistorm 129 daté novembre – décembre 2024