Au campus, espace urbain universitaire hors la ville, « à l’américaine », façon tour d’ivoire, emlyon renvoie plutôt, sans le dire, au mall éducatif ou mieux au hub, qui rappelle la traduction littérale anglo-saxonne du moyeu au centre de la roue : un espace de rencontre, de communication, de correspondance et de connexion sur un même territoire, basé sur la sociabilité. Autrement dit : l’ambition d’un écosystème d’exception ! Telle peut être la définition du nouveau campus à la française voulu par emlyon business school, le maître d’ouvrage, et porté par l’équipe promoteur-architecte composée par Altarea avec Cogedim et PCA-STREAM avec Insolites Architectures.
« Le retour d’emlyon business school au cœur de Lyon incarne un projet ambitieux, pensé pour répondre aux besoins de notre époque en matière de vivre-ensemble. Ce lieu ouvert, où se croisent savoir, innovation et créativité, illustre parfaitement l’engagement d’emlyon à contribuer au développement du territoire. »
Bruno Bernard, Président de la Métropole de Lyon
Créée au cœur de Lyon en 1872 et après quelques décennies vécues à Écully, au nord-ouest de l’agglomération, emlyon s’interrogeait sur son avenir, au vu de l’obsolescence de ses bâtiments et de la croissance de son activité : fallait-il restructurer le campus existant ou saisir une opportunité foncière en centre-ville lyonnais ? Au nom de la connectivité nationale et internationale, de la proximité des lieux de vie des étudiants et des professeurs, de la visibilité et de l’accessibilité, la décision prise par emlyon a été de s’établir dans le quartier de Gerland, en plein renouveau urbain, sur une emprise libérée par Nexans – un industriel spécialisé dans les câbles – et réservée au développement universitaire. Rendez-vous est pris pour la célébration des 150 ans de l’institution, hors période de Covid, avec un retour dans la capitale des Gaules à la rentrée du 26 août 2024.
En résonance avec la transformation de sa pédagogie, le campus emlyon a été imaginé comme ouvert, adaptatif, évolutif et flexible. Les recherches de l’équipe de conception sur l’histoire et l’analyse des mutations des espaces d’enseignement ont poussé à établir des passerelles entre les enjeux de l’école de demain et ceux des bureaux les plus innovants, dont Altarea et PCA-STREAM partagent la compréhension et l’expertise. Inspiré du bureau contemporain, le campus emlyon décline des espaces multifonctionnels et modulaires, favorisant les échanges, la transversalité, le travail collaboratif et l’ouverture, clés du projet pédagogique.
En s’appuyant sur un programme fonctionnel et capacitaire assorti d’orientations fortes, environnementales comme sociétales, emlyon a choisi d’organiser un concours de promotion et non un concours d’architecte. Objectif : la qualité et le caractère innovant du projet, dans la maîtrise des coûts et des délais. Cet appel d’offres ouvert a rassemblé 22 candidats, avec une short list finale de quatre équipes réunissant des promoteurs immo- biliers de référence, associés à de talentueuses signatures architecturales, françaises comme étrangères.
Fidèle à sa philosophie, l’agence PCA-STREAM, sortie gagnante, a proposé une architecture des usages, en jouant notamment sur les flux et l’inten-
sité des échanges qu’ils peuvent générer. La combinaison des qualités de polyvalence et d’intensité s’est traduite par la conception d’un ensemble de quatre bâtiments symétriques, articulés par une rue intérieure aboutissant au cœur battant, lieu emblématique et multifonctionnel de vie et d’émulation. La stratégie pédagogique d’emlyon s’y traduit dans des dispositifs spécifiques, dont la disparition du traditionnel amphithéâtre magistral au bénéfice de salles de travail mixtes, à la granulométrie des surfaces adaptée.
L’architecture comme vecteur d’identité
Depuis l’Antiquité, les modes d’enseignement sont associés à des lieux particuliers, à l’image de l’agora de Socrate, de l’académie de Platon, du lycée d’Aristote ou du jardin d’Épicure… Et aujourd’hui, même si comparaison n’est pas raison, le nouveau campus d’emlyon business school questionne en profondeur la tradition de la verticalité « up and down » de l’enseignement, au bénéfice d’une forme nouvelle, via une pédagogie des interactions, où les apprenants deviennent acteurs de leur formation. Les frontières entre le professeur, l’étudiant et l’entrepreneur s’y estompent au profit d’échanges s’épanouissant dans un processus de formation continue au cœur d’un lieu – intérieur et extérieur – de rencontre, d’inspiration et d’expérience.
Symbole du renouveau du quartier de Gerland, vecteur de l’identité d’emlyon, ce bâtiment-signal prend une dimension iconique marquée par une volumétrie générale dynamique, soulignée par ses élancements sur les deux entrées. La formalisation de l’ambition architecturale dans une élégante sobriété conceptuelle y repose sur la retranscription de la vision programmatique au service de la qualité d’usage, de l’efficacité constructive et de l’efficience économique.
L’analyse des ambitions pédagogiques d’emlyon a permis de les résumer à deux typologies spatiales, flexibilité maximale et vie intense, que le concepteur, pour une part inspiré par le bureau contemporain, a ensuite traduites architecturalement par une rue intérieure et un cœur battant, qui joue le rôle d’une place du village. Cette approche repose sur la conviction que le changement de paradigme du monde du travail est largement transposable aux « enjeux d’une business school visionnaire ». L’architecture s’y fait signal pour incarner une identité et des valeurs ; elle s’efforce de favoriser spatialement des logiques horizontales avec des tiers-lieux encourageant les rencontres, la sérendipité et le travail collaboratif ; elle se doit, enfin, d’accentuer la relation entre la nature et le bâti « pour répondre à la biophilie des jeunes générations et offrir des espaces de vie et de travail complémentaires ».
Fidèle à sa philosophie, PCA-STREAM met ici en œuvre une architecture des usages, au service du projet d’emlyon, en jouant notamment sur les flux et l’intensité des échanges qu’ils peuvent générer. La définition des typologies de polyvalence et d’intensité a inspiré une conception en quatre bâtiments symétriques, entre l’avenue Jean-Jaurès et l’allée de Fontenay, que relie une rue intérieure aboutissant au cœur battant, lieu emblématique et polyvalent de vie et d’émulation. La stratégie pédagogique d’emlyon s’y traduit dans des dispositifs spécifiques, avec la disparition de l’amphithéâtre magistral classique, au bénéfice de salles de travail mixtes à la granulométrie variable, de 20 à 100 m2, équipées de matériels de dernier cri, informatique et captation/diffusion dans l’alternance présentiel-distanciel.
La bibliothèque, lieu d’accès au savoir stocké, jouxte le makers’ lab dédié au développement d’une culture du prototypage et de l’expérimentation concrète. Un amphithéâtre de taille modeste, privatisable, sur le modèle d’un mini business center, marque l’ouverture à la cité. Deux villages associatifs encouragent les étudiants au développement de projets communs. Enfin, selon les heures et les saisons, les grandes terrasses et le jardin prolongent le temps (extérieur) de l’apprentissage et du travail.
Parfaitement lisibles et efficaces, les circulations ont fait l’objet d’un soin particulier, au service de la multiplication des rencontres. Elles conduisent naturellement au cœur du campus, espace magistral et lumineux en triple hauteur, qui concentre les usages et redistribue l’ensemble des espaces. Lieu privilégié de l’hypersocialisation, il peut être rejoint via la rampe de la rue
intérieure, côté Jean-Jaurès à l’est, mais aussi via l’escalier-auditorium, côté allée de Fontenay à l’ouest, ou encore par le jardin et son amphithéâtre au sud.
« Ce projet n’est pas simplement un changement d’adresse. C’est le fruit d’une vision partagée, d’un engagement collectif, et de la volonté de donner les meilleures chances à emlyon d’atteindre le meilleur niveau mondial. La genèse de ce projet remonte à plusieurs années, sous l’impulsion de notre CCI, propriétaire historique de l’école. »
Philippe Valentin, Président de la Chambre de Commerce et d’Industrie Lyon Métropole Saint-Étienne Roanne
Un espace nature plurifonctionnel
Le nouveau campus d’emlyon se positionne comme un lieu unique dans le paysage, bâti et végétal, lyonnais. Au bâtiment hybride, ouvert, vivant et modulable, au service de l’innovation pédagogique, répondent des espaces extérieurs tout aussi hybrides, ouverts, vivants et modulables, qui assurent un double rôle : prolonger les espaces de l’école dans leur globalité fonctionnelle et connecter cette dernière à l’espace public, avec la mise en scène d’interstices végétalisés qui marquent la transition entre l’espace privé et l’espace public.
Ainsi, la majeure partie des espaces extérieurs est considérée comme le prolongement des espaces de l’école, devenant de facto des zones totalement intégrées aux fonctions fondamentales de l’établissement. Le solde de ces aménagements offre des connexions avec l’espace public, entre liaisons fonctionnelles et préfiguration d’un avenir via une réserve foncière. Réponse à la volonté d’ouverture du campus sur la ville, le large parvis sur l’avenue Jean-Jaurès forme un espace de transition entre l’école et l’espace public ; il accueille des îlots végétalisés et arborés qui marquent l’entrée du bâtiment, une philosophie également retenue à l’est, dans une logique de continuité végétale avec l’axe vert de l’allée de Fontenay.
Au sud, façade la plus développée de l’école, BASE, le paysagiste, profite de la topographie pour installer un grand amphithéâtre extérieur – écho à la rue intérieure et au cœur battant – encourageant l’apprentissage en plein air, hors salles de cours. Cet amphi participe d’un rapport apaisé entre l’intérieur et l’extérieur avec un espace ouvert multifonctionnel : étude et détente à la fois, entre gradins, bulles et transats, entre espaces gazonnés et espaces plus arborés, tel ce talus planté côté allée de Fontenay. Cet espace nature de quelque 8 000 m2 s’organise en deux espaces ouverts, grandes prairies récréatives (et évolutives), fauchées une seule fois par an, volontairement non équipées, pour être dédiées à des usages de détente ou d’expression libre (culturels, sportifs ou encore festifs !), qui encadrent un espace plus jardiné, dans le prolongement de l’amphithéâtre. Préfigurations des lisières végétales épaisses à venir, les franges est, sud et ouest assureront alors la nécessaire greffe avec leur environnement.
Ces lisières se composent d’une trentaine d’essences d’arbres, dont une collection de chênes – 150 plantations pour les 150 ans de l’école –, et d’une cinquantaine d’essences arbustives adaptées, naturellement résistantes à la chaleur et peu gourmandes en eau, avec pour principe la limitation de l’arrosage aux strictes périodes nécessaires, via l’installation d’un goutte à goutte.
Entretien avec Teddy Breyton, Directeur du projet Gerland, emlyon business school
Pour quelles raisons créer un nouveau campus à Lyon ?
La question d’un retour en ville est une idée qui a commencé à circuler au début du XXIe siècle. Quelques années plus tard, avec la dynamique de croissance de l’activité de l’école, à compter de 2014-2015, et face à l’obsolescence du bâti d’Écully, le sujet est revenu sur la table. Deux options sont alors envisagées et étudiées : restructurer le campus d’Écully ou saisir une opportunité foncière pour créer un nouvel équipement en centre-ville lyonnais.
Bénéficier d’une meilleure connectivité nationale et internationale, se repositionner dans le cœur de la cité, être ainsi plus proche des lieux de vie et de socialisation des étudiants et des professeurs, se rendre davantage visible et accessible pour l’ensemble des parties prenantes, et donc avoir plus d’impact sur l’économie et la société, sont des arguments qui ont largement fait pencher la balance en faveur du scénario d’un retour d’emlyon dans la ville qui l’a vue naître il y a 150 ans. Mais il fallait pour cela commencer par trouver un foncier pour faire construire.
Entretien avec Philippe Chiambaretta, Architecte et urbaniste, fondateur de PCA-STREAM
Vous soulignez l’importance des nouveaux usages dans votre travail architectural. Qu’entendez-vous par là ?
Nous vivons une ère de changements rapides, parfois brutaux, absolument passionnante pour un architecte. La notion de nouveaux usages regroupe les effets de cet ensemble de mutations sociétales, avec l’économie du savoir, l’économie de plateformes, l’atomisation du travail, l’omniprésence des nouvelles technologies, la recomposition des familles, les nouvelles mobilités, les nouveaux modes de consommation, d’habitat, etc.
Je m’intéresse à ces évolutions depuis de longues années, car j’ai la conviction que les architectes ont un rôle essentiel à jouer pour répondre aux enjeux qu’elles posent à nos sociétés. Nous voyons d’ailleurs que ces mutations s’incarnent spatialement au travers de nouveaux standards programmatiques : espaces partagés, tiers-espaces, coliving, coworking, etc. L’architecte doit analyser ces mouvements pour les comprendre et les faciliter, s’adapter aux besoins qu’ils génèrent, mais également essayer de les influencer, notamment en encourageant des comportements plus vertueux en matière d’énergie, de matériaux, etc. par l’architecture elle-même.
Nous abordons chaque projet en essayant de comprendre les besoins au sein du bâtiment futur. C’est l’ethos de notre agence, PCA-STREAM, qui prône une architecture des usages, basée sur une démarche de recherche, volontairement non formaliste. Notre travail sur les ensembles tertiaires de pointe, aujourd’hui très reconnu, est par exemple lié à nos publications et aux recherches que nous menons depuis quinze ans sur les mutations du travail et de ses espaces. Pour répondre à emlyon, il nous a donc semblé essentiel de commencer par étudier les mutations du savoir et de sa transmission avant toute forme de dessin. Ce qui compte sur un tel projet, ce n’est pas tant le geste architectural que le fait d’apporter la bonne réponse spatiale aux nouvelles pédagogies de l’école.
Entretien croisé avec Thomas Freychet, Directeur travaux adjoint, GCC Rhône-Alpes
Quel a été le rôle de GCC sur le projet emlyon ?
À la responsabilité du macro-lot gros œuvre, clos-couvert, corps d’état architecturaux, se sont ajoutés la mission OPC-synthèse-BIM, pour maquette numérique, plus, dans le cadre du groupement, le lot façade attribué aux entreprises Goyer et Lenoir. Être en charge des missions Ordonnancement Pilotage Coordination et synthèse nous a donné un rôle central dans la bonne exécution du chantier.
Malgré le découpage en macro-lots, la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre ont décidé de nous confier la mission de synthèse. Avec l’aide de notre partenaire ATDR, GCC a mené l’animation de la synthèse technique, mais également architecturale. La présence en permanence sur le chantier de la maîtrise d’œuvre et des équipes d’architectes a permis de résoudre l’ensemble des sujets avec méthode et pragmatisme, dans le respect de l’avancement des travaux. L’exigence architecturale et le respect du projet de base sont un vrai défi que l’ensemble des intervenants a su relever.
Depuis l’attribution du chantier, en juillet 2021, tout s’est enchaîné très vite : trouver des partenaires pour démarrer les fondations spéciales, dès le mois suivant, avec berlinoises, micropieux, inclusions mixtes et puits au programme ! Du fait de la géométrie du bâtiment,
215 mètres de long par 50 mètres de large, l’installation de quatre grues à tour dans sa longueur est décidée. Deux ingénieurs travaux, un chef de chantier principal, cinq chefs de chantier, un sous chaque grue, plus un autre responsable des implantations et contrôles d’alignements des façades constituent l’équipe gros œuvre.
Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage : emlyon early makers group SCI emlyon
Maîtrise d’œuvre : PCA-STREAM
Entreprises : BETC, SCI-ARC, RF Studio, Eranos (Experts ), Iliade Ingénierie (MOEX), TEM Partners (BET Fluides), Arcora ( BET Façades), Avel Acoustique (BET Acoustique), CSD & Associés (SSI & Sécurité), Risk&Co Group (Sûreté), Artelia (AMO Environnement), Deerns (AMO R2S), Base Paysagiste (Paysagiste), Socotec (Contrôleur technique)
Programme : Construction d’un ensemble pédagogique mixte
Surface : 30 000 m2
Certifications : BREEAM Very good – HQE Excellent – OSMOZ – R2S
Par Pierre Delohen
Toutes les photographies sont de : © Salem Mostefaoui
— Retrouvez l’article dans Archistorm 130 daté janvier – février 2025