Conter l’histoire du casino d’Évian, c’est partir tout à la fois à la découverte de l’histoire du thermalisme, des maisons de jeux, de la Savoie et de la politique locale dès le 23 juin 1787, époque à laquelle Évian, tout simplement sans les Bains accolés à l’époque, dispose de sa première maison de jeux sur la commune limitrophe d’Amphion. La mode est alors de venir, souvent de fort loin, « prendre les eaux », au nom de ses bienfaits pour la santé : entre le succès du thermalisme, l’attrait des jeux – pourtant fermés en 1793 pour être « sources de corruption et de cupidité » – et une ambition politique locale, Évian entend rapatrier le casino en centre-ville pour son seul profit.

Depuis son inauguration en 1912 – 112 ans déjà –, le casino, municipal au départ, aujourd’hui géré par Évian Resort (Groupe Danone) dans le cadre d’une délégation de service public (DSP), vit une histoire architecturalement mouvementée au gré des modes et des transformations, extérieures et intérieures, qui l’ont dénaturé pour l’essentiel. Évian Resort combat vigoureusement cette dénaturation avec ce projet d’excellence, conduit en site occupé par Philippe Prost, architecte-urbaniste, et son atelier, destiné à rendre son rayonnement, sa splendeur, son lustre d’antan à un édifice à nul autre pareil, et à l’inscrire dans l’excellence contemporaine, lumineuse et élégante de l’arc lémanique, témoignage d’une modernité ambitieuse.

Emblème iconique de la ville et de l’histoire du thermalisme, le casino, autre témoignage de l’Art nouveau, se doit de retrouver son âme architecturale historique dénaturée, désorientée, banalisée, avec pour finalité de puiser sa renaissance dans ses racines pour mieux s’ancrer dans son époque dans une démonstration équanime. À l’ambition architecturale répond l’ambition urbaine organisée dans une fusion entre architecture, lac et montagne, façade du bâtiment et arc lémanique, coupole, marque de la verticalité, et rez-de-chaussée, marque de l’horizontalité. À Philippe Prost, porté par cette réfle-xion conceptuelle « Intérêt pour le passé, passion pour le futur » plébiscitée par Évian Resort, de déployer une architecture contemporaine pour mieux révéler une architecture historique.

Au programme fondé sur l’analyse de l’histoire sédimentée et stratifiée du lieu : concevoir et mettre en scène une architecture synonyme d’expérience unique, renouer le dialogue entre architecture et grand paysage, retrouver cette résonance intime entre la coupole et le lac ! Priorité est donnée à la monumentalité et au prestige par la (re)mise en lumière des trois grands principes qui sont l’unité et la lisibilité de la façade, la luminosité et la grandeur de la coupole, le lien du casino avec le lac Léman.

« L’architecture élégante de l’établissement de jeux et ses espaces accueillants sont le reflet d’un temps où l’innovation et le raffinement allaient de pair. Ayant perdu de sa superbe au fil des ans, le casino connaît depuis fin 2021 une métamorphosespectaculaire. Grâce à une restauration minutieuse, il retrouve progressivement son éclat d’origine. »
Josiane Lei, maire d’Évian

Le cheminement intellectuel, entre l’architecture patrimoniale restaurée et l’architecture contemporaine créée au service de l’ouverture du casino sur la ville et au-delà sur le lac, se développe via cette façade principale lumineuse entièrement vitrée dont la courbe s’incurve « telle une onde limpide et transparente » qui renvoie au lac, appelle à elle le public et le guide en son entrée centrale. Ce socle transparent porte la grande verrière qui semble flotter en apesanteur, jusqu’à provoquer la lévitation de la coupole, emblème restauré du casino.

L’escalier central très travaillé – marches suspendues et garde-corps de laiton – qui conduit le public au cœur de la salle haute débouche au centre de la coupole à la magie retrouvée – elle culmine à près de 25 mètres de hauteur –, finalement purgée de ses oripeaux accumulés au fil des années. Posée sur quatre arcs dont les retombées forment le plan octogonal de la salle, elle retrouve, restaurée avec patience, savoir-faire et minutie, sa gloire passée telle qu’imaginée par Jean-Albert Hébrard, l’architecte, et Gustave Louis Jaulmes, le peintre, à l’évidence le lieu le plus spectaculaire avec sa base de fenêtres dentelées réouvertes, ses fresques or et vert restaurées au graphisme dynamique et délicat, et une lustrerie contemporaine en trois cercles concentriques composés de 180 verrines.

Au rez-de-chaussée, dès l’accueil, le dynamisme des formes d’une file de poteaux porteurs dissymétriques résonne avec l’accroche d’une marquise gracile en béton fibré à ultra hautes performances (BFUP), réponse au béton traditionnel de la coupole, dont la finesse de profil renforce encore l’horizontalité de la terrasse. Cette transparence et cette légèreté suppriment tout obstacle à la lumière ainsi qu’au regard extérieur-intérieur et intérieur-extérieur. Référence ou révérence à Jean Prouvé, l’ingénieur, et Maurice Novarina, l’architecte, auteurs de la buvette Prouvé-Novarina à Évian-les-Bains, classée Monument historique, cette file de poteaux lance un clin d’œil aussi subliminal que manifeste : le casino restauré renvoie directement à l’histoire des sources et de la ville.

« Le casino est une des pierres angulaires de l’Évian Resort. La rénovation qui s’achève a une double vocation : renforcer le positionnement haut de gamme du Resort aux côtés des hôtels Royal et Ermitage, de l’Évian Resort Golf Club ou de La Grange au Lac, et mettre en valeur un patrimoine exceptionnel avec la restauration complète d’un bâtiment emblématique cher aux Évianais. Ce projet d’un peu moins de trois ans, mené sans interruption de l’exploitation, constitue un véritable défi pour la direction, les entreprises impliquées et l’ensemble des équipes du casino. Le résultat est spectaculaire et ils peuvent, toutes et tous, être très fiers du travail accompli. »
François Dussart, directeur général délégué de l’Évian Resort

Au premier étage, le regard porte sur le nouveau bar monumental, la coupole dans sa majestueuse luminosité ressuscitée, le lac redécouvert dans le prolongement d’une nouvelle terrasse : la lumière, la couleur, la transparence règnent. Paradoxe de la législation, les joueurs-fumeurs jouissent de la plus belle vue sur le Léman dans un espace tampon totalement vitré, entre salle de jeux et terrasse !

Pour un regard extérieur, le rapport en mètres carrés à rénover et le temps passé n’apparaît pas optimum. Mais intégrer à l’équation le chemin parcouru, toujours en site occupé parsemé d’embûches après l’abandon d’un déménagement pur et simple – un casino ne peut fermer –, tempère largement l’appréciation première : aboutir à l’excellence finale dans ces conditions change radicalement la donne et le regard. À la réflexion, le casino achève en 2024 sa première véritable réhabilitation lourde avec une remise générale au meilleur niveau des locaux qui accueillent le public et une mise à niveau technique – ventilation, centrale de traitement d’air, désenfumage, etc. – qu’exigent la réglementation et le confort en pareil lieu. Passer un conduit de ventilation ou conduire des chemins de câbles électriques imposent de travailler au centimètre près, parfois même au millimètre, pour que tout passe dans les plénums. Ajouter des gaines de ventilation et de désenfumage, c’est  ajouter du poids qu’il convient de gagner ! D’où la mise en œuvre précautionneuse du curage de ce surpoids.

Le casino d’Évian figure au vingtième rang des casinos français sur un total de 202 ; il est le lieu des jeux traditionnels – ah ! la fameuse et rare roulette française ! –, des jeux électroniques et des machines à sous de dernière génération. Lieu de divertissement, il est, sans doute, le lieu par excellence de brassage social et générationnel. La conception de Philippe Prost traduit la réponse à ces exigences par une déclinaison d’antonymes : impact et élégance, moderne et classique, ludique et culturel, vibrant et feutré, accessible et privé !

La personnalité, l’exclusivité, l’émotion à coup sûr, un haut de gamme assumé mais sans intimidation avec une offre fondée sur une circulation plus naturelle et fluide, des espaces amplifiés et magnifiés, et des services améliorés, avec ici un nouveau bar d’importance, de nouveaux espaces de jeux, de nouvelles machines à sous, et là de nouveaux espaces de détente, de nouveaux espaces de restauration dont une brasserie avec vue directe sur le lac, etc. Le tout proposé dans un environnement qui convainc les clients et les salariés unanimes ! Joueurs ou visiteurs sont accueillis et traités avec le même soin et la même attention… le casino se veut le lieu qui conjugue architecture patrimoniale et architecture contemporaine dans ce qu’elles ont de meilleur : la convivialité, le confort et l’élégance.

Entretien avec Laurent Sacchi, secrétaire général du Groupe Danone, PDG d’Évian Resort

Le casino est-il le dernier maillon de la chaîne d’investissement ?

La renaissance du casino participe d’une dynamique de réinvestissement, de rénovation, de modernisation et de mise en valeur de l’ensemble des sites d’Évian Resort, tous remarquables à des titres divers : architectural, historique ou paysager. Démarré en 2010, ce cycle intéresse la complète rénovation des hôtels Royal, un palace, et Ermitage, un 4 étoiles, la complète rénovation des thermes, la complète rénovation du golf et son Academy ; il se termine symboliquement en 2024 par la séquence Évian SPA du Royal – derniers aménagements de La Grange au Lac-Casino. Cet investissement total conséquent, représentant plusieurs fois le chiffre d’affaires annuel de la société, est à la mesure de ce patrimoine d’une qualité exceptionnelle, d’une qualité incroyable, représentative d’époques remarquables telles que l’Art nouveau. Il est aussi à la mesure du statut spécifique et symbolique du site d’Évian pour Danone : une maison de famille.

Entretien avec Philippe Prost, architecte-urbaniste, Atelier d’Architecture Philippe Prost (AAPP)

Quels enseignements tirez-vous de l’étude historique de ce casino plus que centenaire ?

Dès le concours organisé par Évian Resort, j’ai pris le parti de redonner ses qualités au casino et de lui en offrir de nouvelles. Ce qui impose une étude historique pour retracer les étapes marquantes de son évolution et approfondir la vie d’un établissement de divertissement – music-
hall, cinéma, théâtre, concert, jeux, etc. – très élégant. Entre deux prises d’eau, il convenait d’occuper les curistes. Pour l’architecte, cela veut dire organiser des espaces couverts d’une coupole, de voûtes, diversifier les accueils et les pièces selon la multiplicité des éléments programmatiques.

Mais progressivement, tout est coupé, découpé, redécoupé, recomposé – le casino perd son âme – au profit des seuls jeux, dernière activité fonctionnelle avec le théâtre. Se pose à l’architecte la question de retrouver cette qualité et cette diversité grâce à l’histoire. À l’extérieur, des ajouts successifs par à-coups, une série de constructions, en ordre dispersé au pied du casino, occultent la façade et condamnent progressivement la relation visuelle entre le casino – rez-de-chaussée et premier étage – et le lac. Un constat aggravé par le mouvement de terrain en « dos d’âne » avec l’accueil d’un parking où le stationnement masque totalement le Léman. L’idée première est de comprendre les fondamentaux d’Hébrard et de redonner les relations visuelles primitives, perdues, occultées, oubliées, entre le casino et le lac, avec l’ambition de retrouver ce rapport avec l’horizon du lac que matérialisent les bateaux.

Entretien avec Laurent Forest-Dodelin, directeur général du casino et des thermes d’Évian

Un chantier en site occupé n’est jamais facile, encore moins dans un casino !

Travailler et habiter dans un chantier, c’est le sentiment que nous avons pu avoir parfois. Quelles que soient les protections, la poussière passe toutes les barrières, le martèlement des brise-bétons aussi. Les câbles courent tout au long du chantier et dans les zones de circulation : il faut continuer à éclairer, à climatiser, à maintenir les systèmes de sécurité, nombreux dans un casino. Le chantier s’est déroulé en deux phases : la première où nous avons déplacé l’entrée de la clientèle sans déménager les machines ; la seconde beaucoup plus complexe, avec la libération de la coupole pour sa restauration et le déménagement des machines dans d’autres salles reconditionnées.

La situation a pu être inconfortable pour nos clients, mais c’était un mal nécessaire pour assurer la continuité de l’exploitation avec une offre de jeux qu’il a fallu réduire. Les résultats s’en sont ressentis d’autant que dans cette seconde phase, l’esplanade devant le casino était en travaux, entraînant de sérieuses difficultés pour se garer. Pour mener un chantier d’une telle ampleur, nous nous sommes entourés de professionnels qui n’ont néanmoins pas l’habitude d’exercer leur activité dans un casino en activité avec tout ce que cela suppose. Il a fallu prendre des précautions particulières en termes de sécurité, de sûreté mais aussi d’hygiène et de propreté. Nous avons dû faire preuve d’attention et de pédagogie pour corriger les inévitables dérapages, même si tout le monde avait bien conscience des enjeux.

Le bon déroulé des opérations dépend très largement de la cohésion de l’équipe rassemblée autour de l’architecte et de l’exploitant.

Axonométrie

Fiche technique :

Maîtrise d’ouvrage : Évian Resort
Maîtrise d’œuvre : Atelier d’Architecture Philippe Prost (architecte mandataire)
Entreprises : BMF (économie de la construction), Vitrocsa France (menuiseries minimalistes), Atelier de Ricou (atelier de création et restauration de décors d’exception), SINFAL (métallerie acier et Inox)
Surface : 4 450 m2
Budget : 16,8 M€ HT
Programme : Architecture, réhabilitation, patrimoine, intérieurs, scénographie

Par Pierre Delohen
Toutes les photographies sont de : © Aitor Ortiz

— Retrouvez l’article dans Archistorm 129 daté novembre – décembre 2024