Le projet ShAKe, dernier maillon de la turbine tertiaire Euralille
Elancé, sculptural, parfaitement proportionné, l’immeuble ShAKe se distingue de loin avec ses arêtes verticales dorées et son graphisme vibrant en façade. Cisaillant les ciels du nord, sa silhouette au mouvement ascendant en spirale, définit un nouveau repère dans le paysage Lillois. Cette présence singulière est d’autant plus marquée que l’édifice accueille à chaque niveau une large terrasse jardin couverte d’arbres et de plantes. Occupant une place stratégique d’entrée de ville et faisant office de signal, depuis les voies routières et ferroviaires d’accès dans la capitale des Flandres, la construction investit la dernière parcelle libre du projet Euralille1.
Un lieu au delà de la forme
Développant une superficie de 33 500 m², le bâtiment de très grande échelle, imaginé par l’architecte Philippe Chiambaretta, prend une forme compacte et semble avoir été sculpté dans la masse d’une monomatière. Cet aspect uniforme est apporté par l’enveloppe continue faite d’épines verticales régulières en aluminium dont la teinte légèrement dorée fait office de capteur de lumière. Ce bloc homogène n’est en rien une masse inerte. Bien au contraire, il présente une géométrie particulièrement riche grâce à sa forme en spirale. Cette dernière offre une plasticité très différente selon les points de vue : en arrivant face à la proue, l’édifice hiératique se perçoit comme une grande lame, haute de 50 mètres, faisant office de signal d’entrée dans la ville.
Sur son flanc, face au parvis, une large rampe se déroule en un élégant mouvement jusqu’au sol pour venir accueillir le visiteur. La question du rapport de l’édifice à l’espace public a été très approfondie par l’architecte : elle est une des conditions sine qua non pour créer de l’urbanité à l’échelle du quartier. Si la tour irradie dans la skyline lilloise, à l’échelle du piéton, les hautes façades vitrées toute hauteur dévoilent les activités en partie basse de l’édifice et invitent à un accès direct dans le pied de la construction. Cette dernière se déploie autour d’une grande place de village, publique et couverte, qui organise le programme. On connaît la volonté de Philippe Chiambaretta de se fondre dans le contexte, une volonté qui gouverne autant la forme que la pensée qui guide son élaboration. En effet, cette plasticité formelle n’est en rien gratuite : dans sa partie haute, l’édifice assure une protection contre le vent, le bruit et la pollution liées à la proximité avec le périphérique. Dans la partie basse ainsi préservée, le croisement des deux lignes obliques génère un superbe effet graphique. Ce travail sur la géométrie crée de l’émotion et apporte une dimension poétique à l’architecture à partir de laquelle se tisse une narration. La volute permet aussi de prendre de la hauteur pour assurer la fonction de signal en proue de l’édifice. Avec une coiffe de 50 mètres, ce dernier évite néanmoins le classement IGH (Immeuble Grande Hauteur), trop onéreux du point de vue de ses normes constructives et de sa maintenance. Pour cela, un dispositif astucieux est introduit dans le bati : une rampe ascendante, accessible aux pompiers, parcourt une partie du périmètre du bâtiment depuis le parvis afin de rendre accessible le dernier plancher à une distance de 28 mètres réglementaires.
Réinventer l’immeuble de bureaux
« Les espaces de travail doivent désormais être mis à contribution pour générer de l’intelligence collective. » Cette déclaration de Philippe Chiambaretta dans After office, un ouvrage de recherche théorique qu’il a édité sur le sujet, trouve un écho parfait à travers la démarche menée par le le promoteur immobilier national Nacarat à propos de l’immeuble de bureaux : le décloisonnement de nos cadres de vie, les bouleversements engendrés par le développement du télétravail, le passage de logiques de propriété à celles de partage et encore le développement des notions d’économie collaborative correspondent à autant de nouvelles pratiques spatiales et sociales. Celles-ci ont été totalement renouvelées avec l’apparition du numérique qui offre la liberté de travailler n’importe où, à la seule condition d’avoir du wifi et de l’électricité. De plus, la mise en réseaux rendue possible par la technologie bouleverse le rapport temporel de nos actions quotidiennes.
Ainsi dans le cadre de l’élaboration du programme, une large part du travail en amont a-t-elle été consacrée à la définition d’une maîtrise d’usage. Cette idée prend d’autant plus d’importance que l’immeuble offre une mixité fonctionnelle particulièrement riche : restaurant d’entreprise, crèche, espaces de co-working, bar, restaurant, auditorium, parkings, commerces et encore salle de sport. Cette mixité représentait une gageure, car elle requiert des logiques spatiales et des modèles économiques très différents. Elle nécessite aussi d’être équipé des installations réglementaires pour être classé Etablissement Recevant du Public (ERP). ShAKe offre l’échelle appropriée pour faire vivre cette juxtaposition de services et de bureaux.
Le chantier : une épopée technique
En toute cohérence, le caractère inédit du projet ShAKe concerne également la phase chantier et les techniques de construction développées. Les entreprises Rabot Dutilleul et Louis de Waele en charge de son édification, présentes très en amont sur le projet, avaient dès le départ, plusieurs contraintes majeures à régler. En effet, le site exigu et ne possédant qu’un seul axe de circulation pour les entrées et les sorties, doit s’accommoder de la présence du tunnel TGV et du canal d’amenée des eaux qui le traverse. De plus, les ouvrages d’infrastructures nécessitaient un rabattement de nappe phréatique conséquent. Ainsi la création des deux niveaux de parkings formant le soubassement du ShAKe a t-elle demandé l’implantation de 142 pieux enfoncés en périphérie puis solidarisés par des parois en béton projeté. La grande aile et la petite aile ont été réalisées en simultané.
Cette dernière, plus proche de l’entonnement est faite d’une charpente métallique légère, tandis que la grande aile adopte un système de béton poteau-poutre. Pour composer les façades, des cadres préfabriqués en béton, d’une largeur de 1,35m, ont été fixés sur les rives de dalle. Ce système permet de démonter très facilement un module, par exemple pour remplacer un vitrage. En effet, les parois de l’édifice sont totalement vitrées et elles comprennent sur la totalité de leurs périmètres un système d’épines verticales en aluminium doré. L’hiver, ces éléments apportent de la luminosité, tandis qu’ils font office de brise-soleil durant l’été. La trame d’ensemble et le dessin du plan apportent une grande modularité des espaces intérieurs qui ne sont plus assujettis ni à la façade, ni aux réseaux. Un volet particulier portait également sur le désenfumage de la place du village, testé concrètement avec la réalisation d’un bucher permettant de vérifier le comportement des fumées. Enfin, la présence d’une terrasse accessible par niveau impliquait de faire descendre toute la technique en infrastructure alors qu’habituellement celle-ci envahit les toitures. L’efficacité du chantier qui se devait d’être économe en temps, en matière et en CO2 a atteint son maximum grâce à l’organisation d’une démarche Lean. Le management du chantier était un véritable défi car il fallait coordonner de nombreuses entreprises oeuvrant simultanément sur le terrain. Ainsi pas moins de 3 maquettes BIM furent réalisées. L’ampleur de ce chantier hors normes a pour valeur d’exception sur le territoire des Hauts-de-France.
Extraits d’interview
Sébastien Beurel, directeur général, Nacarat
Au-delà de son métier de promoteur immobilier, Nacarat est très engagé en faveur de la transformation des territoires avec des projets plus éthiques, esthétiques et écologiques : pourriez-vous expliquer l’apport du projet ShAKe dans cette démarche ?
Aujourd’hui nous sommes positionnés sur un immobilier juste et durable, tant sur le résidentiel que sur le tertiaire. D’ailleurs, depuis la création de Nacarat, tous nos programmes sont décortiqués et peaufinés sous l’angle du développement durable et de l’amélioration des territoires. Cette part environnementale est toujours traitée en étroite connexion avec l’implantation d’un projet car trouver une cohérence en matière écologique représente pour nous une priorité. ShAKe participe de cette vision : nous sommes dans la ZAC Euralille, sur de la friche urbaine à requalifier. Ainsi, dans un contexte de zéro artificialisation nette des sols, l’opération correspond totalement à notre démarche en faveur de l’environnement. En effet, nous fabriquons un nouvel ensemble d’immobilier d’entreprise auquel s’ajoute une large partie de serviciel et nous sommes proches des mobilités en étant situés à proximité des gares.
Lors de la conception du bâti, nous étions séduits par toutes les labellisations telles que le Breeam ou le Well et nous étions par ailleurs focalisés sur l’obtention du label Effinergie. Grâce à notre veille sur la cohérence énergétique du projet, nous nous sommes aperçus qu’en additionnant les labels nous arriverions à des aberrations de performances et de choix techniques, notamment en réalisant une co-génération.
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Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage : Caisse d’Épargne Hauts de France (investisseur), Nacarat (promoteur)
Maîtrise d’œuvre : PCA-STREAM
Surface : 33 500m²
Entreprise générale : Rabot Dutilleul (promoteur)
Certifications environnementales : BREEAM Excellent, Label Effinergie+
Texte : Sophie Trelcat
Visuel à la une : Photo © Samuel Dhote
— retrouvez l’intégralité de la réalisation du projet ShAKe, Lille, PCA-STREAM dans Archistorm 120 daté mai – juin 2023 !