Icone du patrimoine architectural des années 1970 et fruit d’un imaginaire naturaliste, l’ancienne tour abritant il y a peu de temps encore l’Office National des Forêts (ONF) reprend vie, grandit et rayonne à l’image d’un arbre qui a bien pris racine. Renaissant sur un socle plus poreux et ouvert sur son quartier, l’immeuble phare s’est enrichi d’une nouvelle sève, d’une lumière énergisante pour s’élancer vers le ciel.
S’ancrer dans le quartier en réinvestissant les sous-sols
Telles les racines qui puisent dans le sol l’eau et les sels minéraux, Racine réinvestit les sous-sols pour offrir de nouvelles surfaces et ressources à ses utilisateurs. Ces derniers pourront y retrouver un terreau pour travailler, se nourrir, créer, se reposer ou se rencontrer. Un ancien étage de parking, obsolète, est ainsi réanimé en espaces qualitatifs, utiles et agréables.
Un lieu de restauration, des bureaux et salles de réunion viennent prendre place en R-1, rez-de-jardin dans une écharpe baignée de lumière, venant prendre sa source en sous-sol et se développer en surface pour entourer harmonieusement le bâti existant. Sa forme évoque les courbes de l’architecture initiale du bâti tout en lui apportant la valeur ajoutée d’un toit végétalisé, dédié à une agriculture urbaine potagère venant répondre en écho à un jardin conservé et retravaillé en optimisant la pleine terre.
Passer d’un socle endormi à une vivacité retrouvée, ouverte sur son quartier
Racine a été conçu sur les valeurs fondamentales de la culture, de la nature et du dialogue entre la parcelle et son quartier, l’histoire et l’avenir, les cultures spirituelle et nourricière.
Si les façades et la taille de guêpe de la tour ont été conservées afin de respecter le patrimoine esthétique et historique du bâtiment totem, ce dernier a fait l’objet d’une recherche approfondie pour la création de liens, l’enrichissement du dialogue entre le bâti et le non bâti comme entre la parcelle et l’ensemble de son quartier.
Grâce au nouveau projet architectural, le bâtiment devait gagner en visibilité et en lisibilité pour initier une nouvelle discussion durable avec son quartier comme entre les deux rues qui le bordent. Maud Caubet Architectes imagine ainsi le concept d’une écharpe, inspirée de la forme naturelle du coquillage ou de l’escargot, venant puiser des mètres carrés supplémentaires en sous-sol et en surface pour activer les socles, créer un rez-de-chaussée et un rez-de-jardin vitrés apportant transparence, lumière et porosité avec le quartier.
Vitrine sur rue liant l’immeuble de bureaux, la Sorbonne Nouvelle et les passants, ces nouveaux espaces lumineux ont été imaginés comme un ruban vitré s’enroulant autour de la tour et de son patio grâce à une façade mur-rideau aluminium toute hauteur, en courbe. Activateurs de dialogue, ces nouveaux espaces donnent à voir comme ils invitent le regard.
Ce coquillage est surmonté d’une toiture végétalisée fournissant une nature utile et une agriculture pédagogique. En fond de parcelle, des bureaux bénéficient d’un accès direct à cette toiture végétalisé apaisante, qui répond à un projet paysager plus vaste.
Fournir un service aux usagers et au quartier
En socle, Racine se met au service des usagers et du quartier. En R-1 et en rez-de-jardin, un espace de restauration, des salles de réunion et des bureaux s’ouvrent sur le jardin. Les autres espaces de l’extension peuvent également accueillir du public et auront la capacité, à l’avenir, de s’adapter en fonction des besoins, à diverses configurations : accueil de formations, showroom ou encore commerce utile aux riverains.
Au sein des étages courants, abritant les collaborateurs de l’Opco EP, les bureaux ont été conçus pour répondre, dans le temps, aux besoins exprimés. D’une destination tertiaire, les plateaux peuvent aisément se muer en destination hôtelière ou de coliving.
Une fois arrivés au sein de la nouvelle coiffe de la tour de verre, de bois et d’acier, les usagers du bâtiment peuvent profiter de la production et des bienfaits d’une serre agricole bioclimatique ou d’un café avec vue panoramique sur le paysage parisien.
Adapté aux besoins urbains changeants pour lui permettre de se régénérer facilement sur lui-même, Racine s’érige également comme un phare au service du rayonnement du 12e arrondissement.
Relever le défi technique d’un chantier hors norme
Si le nouvel élan donné à l’ancien siège de l’Office National des Forêts paraît fluide, il ne s’est pas moins révélé un beau challenge technique. Pour y répondre, l’entreprise Fayat Bâtiment a eu l’intelligence de mobiliser toutes les expertises de son groupe afin de répondre à la technicité par les savoir-faire et l’ingéniosité collectifs. Le chantier a ainsi mobilisé les dernières technologies comme des expertises plus artisanales pour parvenir à un esthétisme indiscutable et à l’atteinte des plus grandes performances énergétiques possibles.
Redonner place à la nature
Fait rarissime à Paris, Racine constitue un bâtiment seul sur sa parcelle, à l’intersection de deux rues passantes, entouré d’un jardin ne demandant, au lancement du projet, qu’à être amélioré. Cette pointe verte au sein d’un environnement assez minéral bénéficie de la présence de nombreux arbres. Aucun doute n’est alors possible pour l’équipe sur l’absolue nécessité de préserver les grands sujets situés en proue de parcelle ou en bordure de la rue de Picpus.
Fruit d’une approche architecturale organique, les cercles paysagers travaillés finement pour mener au patio principal ont malheureusement été aménagés sur dalle, dans leur grande majorité. Menée par l’envie de conjuguer la notion de culture dans tous les sens du terme, l’équipe opte donc pour une stratégie de renaturation approfondie. Liants du projet, nature et culture imprègnent ainsi l’ensemble comme un fil rouge.
Renaturer les espaces
Concourant à la qualité de vie du quartier, le jardin de la tour a fait l’objet de toutes les attentions.
La plus grande des profondeurs visuelles a été recherchée afin de s’assurer que cette respiration en ville puisse bénéficier à tous, que ce soit pour son caractère apaisant ou sa capacité à lutter contre les îlots de chaleur urbaine.
Une approche globale de renaturation est menée, en collaboration avec Payet et Topager, afin de renforcer les strates végétales diversifiées comme la place des arbres en milieu urbain, ou encore pour favoriser le retour de la biodiversité en ville.
Arbres et arbustes n’ayant pu être conservés sont remplacés par des espèces indigènes du Bassin parisien, choisies pour leur résilience et leur contribution à la biodiversité. L’inclinaison de la rampe de parking initiale est ajustée de sorte qu’elle n’aboutisse plus au niveau du jardin. En rez-de-chaussée, le jardin en pente menant au patio est agrandi et retravaillé amenant lumière et paysage apaisant aux espaces du R-1.
L’extension du bâti en écharpe a également été traitée dans la continuité de cette démarche. Sa toiture abrite désormais un large espace végétalisé qui, dans sa majeure partie, sera dévolu à la culture maraîchère.
Investir le ciel
Coiffant le bâtiment, une serre bioclimatique, pensée comme un jardin d’hiver, apporte un nouvel élan vers le ciel, comme un regain de poésie. La nouvelle couronne de l’immeuble vient compléter la toiture végétale de l’écharpe du bâtiment au sol et accueille une agriculture urbaine pédagogique associée à un café, tous deux ouverts à l’ensemble des usagers du bâtiment. Comme un phare qui scintille dans la ville, ce nouvel espace, tout en transparence, ouvre une vue panoramique sur Paris et s’illustre en nouveau repère de l’est parisien. La nouvelle lanterne arborée devient une sorte de belvédère où il fait bon s’accorder une pause ou se ressourcer.
L’enveloppe de cette serre, inspirée de la forme d’un coquillage ou d’un escargot, reprend le vocabulaire de l’architecture organique. Rappelant une peau en écailles, ses panneaux de verre en quinconce contribuent à la performance de la surélévation. Ils constituent les éléments d’un système de ventilation naturelle « à la Jean Prouvé », permettant de venir rafraîchir ou réchauffer les espaces quand cela s’avère nécessaire. Des stores intérieurs sont également activables pour une occultation provisoire en fonction des besoins en lumière ou en ombrage. Frugale en énergie, la coiffe de l’immeuble est également dotée d’un dispositif de récupération des eaux de pluie.
Prendre part à son quartier
Que ce soit à travers le réinvestissement des sous-sols et l’ouverture du socle du bâtiment vers le sol, la renaturation des sols et l’aménagement des jardins, l’élévation permettant un nouveau repère urbain, ou encore le travail de visibilisation de la façade alvéolée de la tour, l’équipe de Racine a suivi un seul et même fil conducteur : l’envie de faire corps avec le quartier.
Le projet a été conçu pour ses usagers et les habitants du quartier dans une démarche d’échanges permanents avec la ville de Paris, les Architectes des Bâtiments de France, la Commission du Vieux Paris, les pompiers. Il s’agissait de livrer un bâtiment portant l’héritage de son passé et la réponse aux besoins du quartier, aux défis de la ville de demain, qu’ils soient sociaux, culturels ou environnementaux.
Cette volonté de s’inscrire dans la vie du 12e arrondissement a été poussée jusqu’à l’aménagement paysager et la rétrocession temporaire à la ville de Paris, de la pointe de la parcelle, à l’intersection de la rue de Picpus et de l’avenue Saint-Mandé, afin d’offrir aux riverains ou aux personnes de passage un nouvel espace vert où faire une pause.
Valoriser un patrimoine en lui permettant la plus grande longévité
Réhabiliter Racine signifiait, pour toute l’équipe, valoriser un patrimoine exceptionnel, une architecture alvéolée cinquantenaire disposant de fondamentaux à révéler pour rayonner de nouveau. Après 45 ans au service du même occupant, la tour Racine devait faire une pause pour reprendre son souffle. Il s’agissait pour l’équipe de mener un travail de fond dans le plus grand respect de l’identité du bâtiment, de son passé, pour lui permettre de traverser les 50 prochaines années sans encombre et avec panache.
« Il s’agit d’un bâti iconiqueimaginé dans les années 1970 par Thieulin et de Vigan dans une architecture organique très inspirante. Fait assez rare, ce bâtiment n’a connu qu’un seul et même occupant depuis sa création : l’Office National des Forêts. »
Maud Caubet, fondatrice, Maud Caubet Architectes« La singularité de l’objet lui-même nous a intéressés. Edifiée sur ce terrain d’angle, la tour Racine fait partie des raretés parisiennes d’un immeuble seul sur sa parcelle, entouré d’un jardin qui ne demandait qu’à être amélioré. Cette tour cylindrique des années 1970 était assez emblématique par son architecture également. »
Rémy Bourgeon, Président, Alderan
Révéler un patrimoine extraordinaire
Conçue en 1976 sous le crayon du cabinet Thieulin et de Vigan, la silhouette de morille en béton préfabriqué a fait de la tour un élément reconnaissable du 12e arrondissement de Paris et une icône du courant architectural organique. Sa restructuration appelait ainsi au plus grand respect et aux plus grands soins.
L’équipe a alors mené un travail itératif avec les Architectes des Bâtiments de France, la Commission du Vieux Paris, consultés aux différentes phases du projet, afin d’ouvrir les possibles d’une tour vieillissante tout en soignant ses principales qualités.
La silhouette alvéolée de l’immeuble devait être conservée. Si l’écharpe créée par Maud Caubet Architectes, afin d’ouvrir les socles à de nouveaux usages, s’enroule du sous-sol à la surface autour du bâti, elle devait s’éloigner quelque peu de sa base afin de conserver l’aspect visuel d’une taille de guêpe. Aucune isolation ne pouvait être réalisée par l’extérieur sous peine de brouiller le langage visuel du bâti.
Conserver les atouts du déjà-là
Pour Maud Caubet Architectes, la ville d’aujourd’hui et de demain se construit en utilisant le déjà-là. L’agence limite au maximum l’utilisation de matières nouvelles dans la rénovation des bâtiments grâce au réemploi, en tenant compte des enjeux de structure existants, sur le long terme.
La tour a été tout entière réemployée et s’est parée d’une écharpe qui s’enroule autour du bâtiment principal sans pour autant le cacher. Elle a réinvesti ses propres sous-sols pour les transformer en espaces nobles et utiles, bénéficiant désormais de la lumière du jour.
Les panneaux de béton composant la façade atypique de Racine ont été nettoyés et traités contre les épaufrures, la carbonation, la corrosion au fer dont ils faisaient l’objet. Il s’agissait de réparer, en améliorant pour longtemps.
À ce gigantesque réemploi immobilier in situ s’est ajouté le réemploi ex situ de nombreux matériaux et éléments techniques dans une démarche de limitation des déchets et de valorisation des matériaux. Éviers, carrelages et même la magnifique décoration intérieure de l’Office National des Forêts constituée de murs en bois cintré ont été réutilisés au sein d’autres projets. Une cabane en bois présente sur le site a trouvé un nouvel usage en local d’accueil. Au total, quatre tonnes de bois collectées sur le chantier ont été réutilisées, notamment pour la création de mobilier design ou d’agencements.
Optimiser les possibles pour traverser les modes et les années
Respecter et valoriser le patrimoine unique de la tour Racine signifiaient lui permettre de vivre les années à venir sereinement, sans importante intervention. Mis aux normes énergétiques et d’accessibilité, Racine a été pensé pour traverser les décennies et donc, pouvoir changer d’usages, au gré des besoins des utilisateurs et du quartier.
Une mise aux normes énergétiques
Afin d’atteindre et de dépasser les normes environnementales en vigueur, un travail minutieux a dû être mené. L’enveloppe bioclimatique du bâtiment patrimonial ne pouvant être réalisée par l’extérieur, une approche bioclimatique par inertie et isolation intérieure a été favorisée pour assurer un confort d’hiver et un confort d’été.
La façade en panneaux de béton préfabriqués a alors été nettoyée et traitée afin de traverser les années. Les 360 châssis pivotants existants ont été déposés et remplacés par des menuiseries en aluminium double vitrage en ouvrant caché, plus performantes en termes acoustiques, énergétiques, de lumière et d’étanchéité à l’air.
Les baies vitrées du socle et du patio ont par ailleurs laissé place à une façade vitrée toute hauteur en double vitrage retranscrivant fidèlement la forme originelle pensée par Thieulin et de Vigan.
Un doublage thermique par l’intérieur s’est ajouté au dispositif afin de réduire les besoins en chauffage et en refroidissement.
« Racine était, tout d’abord, un projet de restructuration très spécifique qui ne correspondait pas aux nombreux projets de bureaux plus haussmanniens que nous avons l’habitude de mener à Paris. Le bâtiment existant est vraiment unique, circulaire, s’élançant comme une proue au carrefour de deux axes importants. »
Edouard Degagny, Directeur Île-de-France, FAYAT Bâtiment
Construire pour longtemps
L’équipe de Maud Caubet Architectes a mené un travail méticuleux afin d’amener la lumière naturelle où que puissent se trouver les usagers des bâtiments, afin d’autoriser le bâtiment à vivre et à s’adapter en fonction des usages.
À chaque étage, Racine dévoile des alvéoles aux ambiances spécifiques qui interagissent les unes sur les autres. À la manière des cellules vivantes, elles ont la capacité d’évoluer. Ces micro-espaces de bureaux peuvent ainsi tour à tour devenir lieux de réunion, de réception, de production collaborative ou de bulles de concentration. Chaque étage peut se mouvoir encore plus radicalement pour de nouveaux usages, testé grâce à une préfiguration, et accueillir une activité hôtelière, des logements étudiants ou bien du coliving.
Offrir une accessibilité à tous les publics
Permettre tous les usages recouvrait également la nécessité d’offrir la plus grande des accessibilités à chacun des espaces. Le travail mené sur Racine a ainsi permis la résorption des seuils au niveau des entrées, l’accessibilité à tous les étages ou encore la réalisation de deux ascenseurs supplémentaires.
Conçu pour traverser les âges et les effets de mode, Racine élargit son potentiel comme il le partage et le partagera avec le plus grand nombre au fil des années.
Fiche technique :
Maîtrise d’ouvrage : Alderan
Maîtrise d’œuvre (mission complète) : Maud Caubet Architectes
Assistance maîtrise d’ouvrage : Etyo
Partenaires : SCB (Economie de la construction), Arcora (Ingénieur façades), Structureo (Structure), ATEC SA Ingenierie (Fluides), Topager (exploitant agricole + serre), Payet (Ingénieur environnement et paysage), Clarity (Acoustique), CSD & Associés (Préventionnistes), BTP Consultants (Bureau de Contrôle)
Directeur de projet architectes : Arnaud Housset
Cheffe de projet et suivi de chantier : Nina Maeno
Équipe : Pauline Reysset, Nastasia Thiriet, Thomas Jacques
Entreprises : Conseil sur les multi-usages : Silvano Pedretti
Programme : Bureaux, agriculture urbaine, socle mixte ERP
Surface : 5 825 m2
Entreprise de construction : Fayat Bâtiment
Par Annabelle Ledoux
Toutes les photos sont de Laurent Kronental
— Retrouvez l’article dans Archistorm 129 daté novembre – décembre 2024