Un ruban de Möbius à Saint-Ouen
L’ensemble conçu par Chartier Dalix à Saint-Ouen offre un bel exemple de l’écart entre l’aspect extérieur d’un immeuble et sa façon de se constituer en arrière-monde. Entre son enveloppe variable et unitaire et sa géométrie intérieure complexe. Cela est d’autant plus sensible que le choix de la complexité a clairement été assumé par ses concepteurs. Stories est un immeuble-système qui scénarise la découverte graduelle de sa complexité. Cette expérience est de nature à s’intensifier à mesure que l’on s’avance vers le coeur de l’îlot. Si les retraits de façades et les deux placettes auxquels ils donnent lieu laissent soupçonner l’existence d’une cour intérieure, il est en revanche impossible d’évaluer la taille et la forme globale du bâtiment.
L’immeuble de 65 000 m², qui dispose de deux entrées principales, remplace un édifice plus ancien, construit en 1991 et occupé par L’Oréal. Un immeuble vitré en forme de dièse, de facture très générique et plutôt conçu pour être réhabilité tous les vingt ans. Axa ayant opté pour une reconstruction intégrale, l’équipe de Chartier Dalix va se sentir libre de repenser le corps du bâtiment ex nihilo. Au lieu du gabarit générique préexistant, l’équipe a proposé un bâtiment ajusté, conçu à partir des héberges et des vis-à-vis environnants. Cette volonté d’adapter le bâti constitue une première rupture avec l’ethos « passe-partout et jetable » de la structure antérieure. À cette volonté de s’inscrire dans un contexte s’ajoute un travail d’ajustement des façades. Il s’agit, là encore, d’aller au-delà des murs-rideaux génériques en proposant un système réglable, conçu en fonction des orientations, des vis-à-vis, dans un souci d’intégration du bâtiment. La variation formelle n’est pas une fin en soi, mais un outil d’intégration. L’abandon de la forme monolithique, les retraits de façades avec les deux placettes, ainsi que le jeu subtil des brise-soleil verticaux accentuent la porosité de l’ensemble et renforcent son interaction avec le voisinage. Les prismes verticaux qui rythment la façade et englobent l’ensemble du bâtiment sont les véritables régulateurs de sa porosité. Leur largeur, qui peut varier du simple au double, crée depuis la rue des effets d’ombre et de réflexion de la lumière.
Ce ne sont pourtant pas ces jeux d’ombre et de transparence des parois qui constituent le principal attrait du bâtiment. Elles sont supplantées en intensité par la capacité de l’ensemble à constituer des univers diversifiés. Une ville en micrographie pourvue d’espaces intérieurs à forte identité. Comme l’attestent les nombreuses terrasses plantées et la microforêt du grand jardin central, la conception et l’organisation des volumes du bâtiment sont à l’opposé du recours à des formes génériques. C’est probablement le point de rupture le plus substantiel : le basculement affirmé d’une forme orthogonale et rigide vers une forme complexe – celle d’un gigantesque ruban de Möbius. Le gabarit est celui d’une tour couchée au sol, pliée en forme de bretzel. Ce choix de la complexité découle avant tout d’une volonté de constituer des environnements de travail différenciés, pourvus d’une identité, tout en utilisant un seul langage formel. Il n’est pas question de parodier la diversité en variant les volumes ou en juxtaposant des façades bigarrées. La particularité de chaque lieu découle d’un seul système constructif et résulte tout naturellement de son environnement, de son rapport au dehors, et du soin architectural apporté à la création d’espaces intérieurs différenciés. (…)
« Le choix s’est porté sur Chartier Dalix, surtout pour le traitement volumétrique qu’ils proposaient. L’insertion urbaine, la modularité, la fluidité et la diversité des espaces ont permis à leur proposition de se distinguer. 65 000 m2 c’est beaucoup, et l’on ne souhaitait pas ériger une tour ou un bloc. Il importait de concevoir un bâtiment à l’échelle du quartier, ce qui a été atteint. »
Emilie Jousset, directrice de programmes, VINCI immobilier
« Stories est un village urbain inédit implanté sur un secteur de fort développement bénéficiant d’un important renouvellement urbain, qui sera renforcé par le projet du Grand Paris. La combinaison attractive de la localisation, de la flexibilité et de la performance de Stories fait de ce nouveau programme une opportunité unique et nous avons la conviction que le projet suscitera un fort intérêt de la part des utilisateurs de bureaux. »
Germain Aunidas, Global Head of Development at AXA IM – Real Assets
Extrait de l’entretien avec Frédéric Chartier et Pascale Dalix, architectes
Dans ce projet, la complexité spatiale semble être un concept central. Comment expliquez-vous ce choix ?
Pascale Dalix
Sur cette question, le point de départ est le rapport intérieur / extérieur. La conception du jardin fait partie de l’architecture du projet. Les masses bâties s’entremêlent avec les jardins, au point de créer de fortes interactions : nous avons par exemple croisé la conception de l’architecture intérieure avec celle des extérieurs. Le jardin envahit l’intérieur des rez-de-chaussée et les concepts d’architecture intérieure se joignent aux aménagements extérieurs. Ainsi, jardins, terrasses, petit bois, bosquets, prairies sont dans la continuité des espaces intérieurs. Les espaces de travail et de détente s’enchaînent et se répondent dans une certaine réciprocité. Cette proposition a été facilitée par le fait que la maîtrise d’ouvrage nous a confié les deux missions.
Frédéric Chartier
A partir d’une certaine taille, la complexité est une nécessité pour générer des environnements de travail diversifiés. L’aspect monofonctionnel du programme peut devenir rapidement générique, inintéressant voire écrasant, si l’on n’apporte pas une diversité. La complexité du rapport intérieur / extérieur, les jeux de superposition et de transparence, le fait de descendre, de monter pour aller d’un point A à un point B, tout cela fait que les espaces habituellement génériques deviennent des espaces caractérisés. C’est un immeuble qui a plus de 15 % d’espaces de services, ce n’est pas négligeable. Outre la diversité des plateaux, il y a une grande part d’espaces hybrides qui sont des espaces différenciés dans lesquels on peut travailler ou se détendre. La complexité a constitué un outil d’enrichissement du programme. J’ajouterais qu’il est important d’avoir l’opportunité de savoir pour qui l’on construit. Concevoir des bureaux en blanc est finalement plus difficile. À Saint-Ouen nous avons construit du spécifique, pour un usage plutôt générique. C’est aussi un bâtiment qui décline un seul système constructif. Il n’était pas question de faire du patchwork ou de la variation formelle gratuite. On peut aussi expliquer la complexité du nouvel ensemble par la couture urbaine que fabrique le bâtiment dans son contexte. S’adapter aux niveaux voisins, s’abaisser ou mettre en retraits les niveaux supérieurs sont autant de gestes en réponse à un contexte existant. Nous pensons que c’est de cette complexité maîtrisée que résulte l’intégration urbaine du projet. (…)
Extrait de l’entretien avec Emilie Jousset, directrice de programmes, VINCI immobilier
Le bâtiment est résolument complexe, par sa disposition et son architecture intérieure. C’est un bâtiment qui se plie, en forme d’anneau de Mébius. Comment la maîtrise d’ouvrage se positionne-t-elle par rapport à ce choix ?
Emilie Jousset
Comme il s’agit d’une vente en blanc, nous avons opté pour une offre diversifiée avec différentes typologies d’espaces et une grande flexibilité d’aménagements et d’usages. Le bâtiment est parfaitement divisible en deux et même en quatre corps de bâtiment, à partir d’un socle commun de jardins et d’espaces extérieurs de qualité. Les personnes qui vont y travailler pourront s’y retrouver, parfois même se réunir en extérieur. Ces espaces au coeur de l’anneau sont pensés comme de véritables jardins praticables. Le bâtiment revendique une certaine porosité, notamment par ce jeu de retrait de façades et de placettes qu’il rend possible.
Fiche technique
Maîtrise d’ouvrage : AXA IM – Real Assets, VINCI Immobilier Promotion
Architecte : Chartier Dalix
BET : Egis (coordination des études), Khephren ingenierie(structure), Bollinger & grohmann (façade), Inex (fluides), Green Affair (Hqe), Meta Acoustique (acoustique), Convergence (restauration), A9C (ascenseur)
Responsable projet : Sébastien Chevance
Programme : Campus tertiaire de 65 000 m2 composé de deux immeubles (25 000 à 40 000 m2) divisibles en 4 corps de bâtiments (10 000 à 22 500 m2)
HQE : Certification Hqe (niveau exceptionnel), Certification Breeam (niveau excellent), Certification WELL (silver), démarche Open Work
Surface : 65 500 m2
Budget : 140 M€ HT
Livraison : décembre 2021
Texte : Christophe Catsaros
Photos : Takuji Shimmura
— Retrouvez la réalisation sur Stories par Chartier Dalix dans Archistorm 113 daté mars – avril 2022