L’œuvre Réflexions, installée dans le Jardin du Palais-Royal à Paris du 15 septembre au 15 novembre 2023, a été réalisée par l’atelier du maître-verrier Emmanuel Barrois, en partenariat avec le bureau d’études Bollinger+Grohmann. L’impressionnante structure en verre associe le savoir-faire du travail manuel aux procédés industriels pour susciter une réflexion sur les concepts de matérialité incarnés par l’œuvre et d’immatérialité représentés par les effets des prismes sur la lumière.
Entrevue avec Niccolo Baldassini, Directeur technique, Klaas De Rycke, Ingénieur civil et architecte et Paul Covillault, Ingénieur structure
Quel rôle a joué le bureau d’études Bollinger+Grohmann dans ce projet ?
Agissant à la fois en tant qu’ingénieurs structure, designers et managers, nous avons accompagné toutes les étapes du projet et l’étude de l’ensemble des éléments qui composent la structure, résultant des séries de calculs d’ingénierie que nous avons effectués. Notre bureau d’études a également géré la recherche des différents partenaires et en particulier des laboratoires et des fabricants.
Les premiers échanges avec Emmanuel Barrois pour la conception de cette œuvre s’inscrivaient dans le cadre d’un projet de recherche destiné à valoriser les métiers de l’artisanat par le biais d’une collaboration entre plusieurs entreprises. Cela a donné naissance à l’idée d’un échafaudage capable de concentrer et de mettre en lumière divers champs de connaissances au sein d’un ouvrage commun.
Comment s’est déroulée la collaboration avec l’Atelier Emmanuel Barrois ?
Plusieurs collaborations antérieures nous ont permis de développer des capacités relationnelles avec l’atelier et de constater la complémentarité de nos connaissances, dont le partage a permis d’aboutir à une solution inédite. L’Atelier Emmanuel Barrois possède des savoir-faire relatifs aux méthodes de fabrication artisanale et de mise en œuvre du verre. Bollinger+Grohmann possède des connaissances d’ingénierie sur les calculs de structure et les comportements mécaniques des matériaux et maîtrise les spécificités liées au matériau du verre.
Durant la conception, les images en trois dimensions générées en interne ont permis à l’atelier de pouvoir projeter une image de l’ouvrage, retravaillée afin d’aboutir à l’œuvre finale. En parallèle, nous recherchions les matériaux et produits les plus à même de répondre aux spécificités de la structure tout en demeurant en phase avec le concept initial. Le maître-verrier a pris part à l’élaboration des pièces et au financement des laboratoires, puis son atelier a produit les pièces de verre. Les autres pièces ont été réalisées et assemblées par les différents partenaires. L’élaboration de la structure a nécessité divers tests et nous avons également réalisé une maquette à échelle 1. Les techniques de montage mises au point par l’atelier Barrois ont fait l’objet de prototypages, ce qui a permis le réajustement de certains éléments au moment de la construction.
De quelles façons avez-vous associé le savoir-faire artisanal à des procédés industriels ?
Nous avons œuvré dans l’esprit d’une transition fluide entre l’industrie et l’artisanat. Prédire, par l’intermédiaire de moyens industriels, la performance structurelle d’une construction, élaborée à partir d’éléments fabriqués artisanalement, relève de procédés expérimentaux. La notion de fabrication artisanale implique une marge d’erreur du fait d’éléments qui ne sont jamais parfaitement identiques. Dans le cas de la construction en verre, cette marge d’erreur ne peut dépasser le millimètre au moment de l’assemblage. Pour pallier ce défi de l’artisanat, nous avons cherché à réduire le nombre d’éléments qui composent la structure afin d’entrer dans un processus d’industrialisation. Nous avons effectué de nombreux tests en laboratoire sur les effets de compressions, de tractions et de flexions sur les matériaux. Ainsi que sur la composition et les techniques de pose de la colle, spécifiquement mises au point pour la jointure entre les éléments de verre.
Comment tient cette structure ? De quels matériaux est-elle constituée ?
Structurellement, il s’agit d’un échafaudage de 15 mètres de haut au sein duquel les barres ne subissent que des forces de tractions et de compressions. L’échafaudage est constitué de onze niveaux de treillis de barres en verre bifeuilletées de trois dimensions différentes, reliées à des nœuds par un système de douille. Les nœuds biarticulées en acier inoxydable sont déclinés en 16 typologies. Cet échafaudage est supporté par un socle carré et des câbles reliés à une structure en béton armé assurent la stabilité horizontale.
Pour extraire les qualités esthétiques du verre, les barres sont biseautées grâce à des techniques de coupes d’une extrême précision.
Quels ont été les principaux défis techniques rencontrés lors de la conception de cette œuvre monumentale ?
Il s’agit de la première œuvre monumentale en verre collé destinée à être exposée en extérieur. Faire tenir cette sculpture de 15 mètres de haut dans un lieu accessible au public et soumis aux effets météorologiques s’est avéré être un véritable défi.
L’un des points les plus complexes abordés est relatif à la marge de tolérance, réduite au minimum grâce au développement d’un système qui sort des techniques habituelles de construction en bâtiment. Chaque étape a nécessité un travail long et minutieux d’optimisation afin d’arriver à un résultat relevant d’une marge d’erreur quasiment nulle.
Le verre ne possède aucune tolérance et aucune capacité d’adaptation par rapport au béton ou au ciment notamment, ce qui implique des méthodes très précises de montage, testées au préalable lors des phases de prototypage. Tout d’abord, lors de la phase de conception et de la réalisation des pièces, cette tolérance est réduite à l’ordre du dixième de millimètre, puis au millimètre lors du montage.
En quoi la conception de cette installation intègre-t-elle vos recherches relatives au domaine de la construction en bâtiment ?
De notre point de vue, ce projet constitue un travail de recherche car les techniques et technologies élaborées ici pourraient être intégrées au secteur du bâtiment. Il est difficile d’envisager des solutions industrialisées sur mesure dans ce domaine, contrairement à ce que nous avons eu l’opportunité de faire ici.
Toute cette réflexion n’est pour l’instant pas applicable au domaine de l’architecture, mais les recherches engagées pour la réalisation de cette structure intègrent plus largement les enjeux actuels et à venir liés à la construction. Le travail sur les pièces moulées, les tests de soudure, la création de la colle sont autant de techniques développées que nous espérons voir appliquées au profit d’autres domaines, particulièrement dans la construction, en vue de réduire l’empreinte carbone. Par exemple, l’ouvrage est montable et démontable, ce qui répond aux défis qui se poseront à l’avenir. La recherche sur la légèreté des structures intègre quant à elle une volonté de diminution de la quantité de matière et de possibilité de réemploi de matériaux.
12% de la composition provient de verre recyclé. Emmanuel Barrois a exprimé la volonté d’utiliser du verre recyclé provenant de l’industrie du bâtiment. Cette démarche l’a amené à consulter de nombreux fabricants, bien que très peu aient finalement accepté d’intégrer cette initiative et de produire ce type de verre recyclé.
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Fiche Technique
Maître d’ouvrage et verrier : Atelier Emmanuel Barrois
Entreprises de construction : Fabrica, CTM Laser, RMG Industrie, bureau de contrôle : Société I.C.E. (Inspection, Contrôle et Evènementiel)
Programme : Ingénierie des structures, ingénierie des façades bet
Hauteur de l’oeuvre : 15 m
Longueur des prismes entrelacés : 6 000 m
Poids total du verre : 8 000 kg dates 2020–2023
Texte : Cléa Calderoni
Visuel à la une : © B+G, Niccolò Baldassini
— retrouvez l’intégralité de l’interview de Bollinger+Grohmann dans Archistorm 123 daté novembre – décembre 2023