Bruno Moinard et Claire Bétaille aiment qu’on les appelle « les architectes voyageurs ». Ce n’est pas un hasard : ils construisent, rénovent, aménagent, designent dans le monde entier, dans tous les types de sites et d’environnements. Palaces, boutiques et vaisseaux amiraux de grandes marques (ils viennent de signer la refonte du temple Cartier du 13, rue de la Paix, à Paris), chais de grand cru, hôtels particuliers, leur champ d’action est éclectique et planétaire. Et c’est cette découverte permanente, ce franchissement constant de nouvelles frontières géographiques, stylistiques, culturelles qui les passionnent. Leur valise est toujours prête. Dès lors, leur demander de parler de leurs matériaux favoris et de leur mise en œuvre relève de l’impossible. Pourtant, il y a un matériau qui compte d’abord pour eux : leurs carnets de voyage.
Le matériau originel : nos carnets de voyage
Bruno Moinard. Nos petits carnets couverts de gouache, de dessins aux feutres, de collages de photos, sont peut-être le premier matériau de notre inspiration et, finalement, de nos créations. Nous surprenons toujours nos clients en leur montrant, lorsque nous livrons les projets, à quel point ce que nous avions croqué de façon instantanée, au tout départ, se retrouve dans le résultat final.
Claire Bétaille. Une des raisons pour lesquelles notre association fonctionne aussi bien, avec Bruno, c’est cette vision singulière de l’architecture qui part d’une impression, d’une émotion. Dès que nous arrivons dans des environnements qui ne nous sont pas familiers, ou que nous redécouvrons plusieurs années après y être passés, nous avons le réflexe de saisir la vision que nous avons, la façon dont nous ressentons les choses. Bruno fait ses petits dessins, et moi, des photos, des découpages et des collages.
BM. Nous y puisons non seulement notre inspiration, mais nous utilisons ces impressions, ces couleurs, ces ambiances pour structurer nos créations, pour construire, pour régénérer l’existant, pour dessiner des lieux où les émotions passent.
CB. Nous conservons naturellement tous ces carnets et dossiers: ils sont une mine d’or pour nous. Ils font partie de notre récit. En dehors du fait qu’ils sont assez jolis…
La nature et la lumière : le premier gisement de matière
BM. Ce qui apparaît de prime abord dans nos carnets, c’est la lumière, c’est l’environnement naturel. Le brouillard, le soleil diffus ou éclatant, les contrastes, les lignes du paysage. La façon dont ils interagissent, la façon dont la lumière se faufile dans le bâti existant, ou à travers une forêt avoisinante. Nos propositions seront immanquablement liées à cet ordonnancement des choses. Nous construisons avec cette lumière, avec cette nature, comme si on les avait extraites pour les utiliser au même titre que la pierre, le bois, le verre ou le papier. Au Japon, nous avons envie d’apporter de la transparence, pour agrandir, faire communiquer. À Hawaï, c’est l’eau, l’orage menaçant et la lave des volcans qui nous inspirent. À New York, nous capturons les contrastes des fins d’après-midi, la chaleur de la lumière.
Les matériaux des lieux
CB. Nos photos, croquis et collages absorbent toutes les ambiances, toutes les lignes, toutes les couleurs. Ils absorbent aussi les matériaux locaux. Lorsque nous nous sommes attelés au chantier de l’hôtel Cala di Volpe, en Sardaigne, initialement conçu par Jacques Couëlle, nous avons été assaillis par la candeur éblouissante du plâtre sculpté et par le rythme sévère des madriers et poutres de genévrier sombres. Nos carnets saisissent et digèrent à leur façon la brique, le bois, le verre, la pierre tels qu’ils sont mis en œuvre localement.
BM. Il en va de même des productions artisanales locales et des productions de métiers d’art. Nous aimons aller chez les artisans. Nous regardons ce qu’ils réussissent, mais aussi qu’ils ratent et mettent à la poubelle. Nos carnets sont remplis de détails, de fragments, de motifs, que nous réutiliserons dans l’ameublement, la décoration, le choix des revêtements muraux, dans le choix des formes, dans le rythme des aménagements, et, en fin de compte, dans la qualité du vécu que nous proposons aux habitants, utilisateurs et visiteurs. Pour qu’eux aussi fassent des photos, des petits dessins et des collages…
Texte : Vincent Schlegel
Photos : Carnets de voyage © Agence Moinard Bétaille